INTRODUCTION
Nous allons voir avec étonnement dans cet article, que la société de la connaissance contribue
fortement à façonner et à modeler la civilisation contemporaine à un point que le citoyen
moyen ne soupçonne pas. Le sociologue Karl Marx2 fut le premier à mettre en évidence
l’importance de l’outil de production pour une société. Lorsque celui-ci se transforme, ce sont
tous les rapports de production qui changent et donc les rapports des humains entre eux, et
c’est, en définitive, la vision, (la "Weltanshauung"), bref, les valeurs de base et les structures
de la société qui se transforment.
A la fin du Moyen Age et au début de l'époque moderne industrielle, lorsque nous sommes
passées de l'outil de production agricole (la terre et la technologie agricole) à l'outil de
production industriel (la machine, la technologie et le capital), c'est tout l'horizon qui a
basculé, y compris la relation au divin au temps et à l'espace.
1. UN NOUVEL OUTIL DE PRODUCTION
Or, sous nos yeux s'opère le rapide remplacement de l’outil industriel par un outil nouveau: la
connaissance appliquée à la connaissance par le cerveau humain afin de créer de la nouvelle
connaissance3. Et Peter Drucker explique sa vision : "En effet la connaissance est l'unique
ressource qui ait du sens aujourd'hui. Les "facteurs de production" traditionnels - le terre
(c'est-à-dire les ressources naturelles) le travail et le capital, n'ont pas disparu, mais ils sont
devenus secondaires. Ils peuvent d'ailleurs être obtenus facilement, à condition qu'il y ait de
la connaissance. Et la connaissance dans cette nouvelle acceptation, signifie la connaissance
comme une matière première (utility), la connaissance devient un moyen d'acquérir des
résultats sociaux et économiques." Pour certains observateurs de la Silicon Valley,
l’économie américaine serait d'ores et déjà immergée à plus de 70% dans la société de la
connaissance. En clair, celle-ci s'infiltrerait de plus en plus même au cœur même des activités
industrielles et agricoles traditionnelles, étant stockée et gérée par de petits ordinateurs dont
les puces, en quelque sorte, accomplissent un travail de fourmis. Un rapport récent fait pour le
Conseil des Ministres européens montre que 40% de l'économie de l'Union européenne est
déjà dans l'immatériel, dans la société de la connaissance4. C’est un chiffre très bas. D’autres
parlent de 60 à 70%.
Nous y sommes donc. Rappelons-nous que dans la société agraire, le pouvoir était lié à la
possession de la terre. Celui qui ne possédait pas de terre était un manant5, un serf. Il n’avait
pas même de nom. Le noble, lui, possédait la terre, et il en portait le nom. Et son pouvoir
2 Dans une lettre célèbre à Vera Zasulic en 1881, Marx a affirmé clairement qu'il n'était pas "Marxiste" et qu'il ne
voulait pas trancher la question de savoir si le futur de la Russie passait nécessairement pas une révolution! C'est
donc sur ce Marx sociologue que nous nous appuyons ici.
3 Cette définition provient de Peter DRUCKER lui-même; dans "Post Capitalist society" Harper Business 1993,
page 42. Ce livre a été traduit en français et édité chez Dunod, Paris 1994 : La société post capitaliste.
4 “THE WORK FOUNDATION”: The knowledge economy in Europe : A report prepared for the 2007 EU
Spring Council » http://www.theworkfoundation.com/Assets/PDFs/KE_Europe.pdf London , 2006.
5 Le terme de "manant" signifie en Latin "celui qui reste", car il n'a pas les moyens de partir étant donné qu'il est
la propriété du Seigneur de la terre. Le "serf" signifie en latin le "serviteur", celui qui est totalement et
inconditionnellement au service de son Seigneur. C'était un esclavage sans le nom. L’Eglise a fait énormément
en imposant le baptême et l’imposition d’un « nom chrétien » différent du nom du Suzerain. C’était une
gigantesque opération d’humanisation et de respect des personnes et de ses droits élémentaires qui est comme la
matrice de la notion de droits de l’homme aujourd’hui.