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Jacob et de l’ange, c’est un combat qu’on ne gagne qu’en acceptant la
defaite. Le destin s’identifie au dieu inscrit dans la vie interieure de
Beethoven, et en Tacceptant, il enseigne ‘la resignation heroique, la paix
dans la souffrance, Ie renoncement d’Hercule sur Ie bucher, - qui, par
!’acceptation, s’eleve au-dessus de son destin’.31 C’est la, on l’a vu, la leςon
qu’apprend Romain Rolland en janvier 1926, quand il sacrifie son
individualisme au nom d’une nouvelle acceptation des rythmes de 1’histoire.
Beethoven a done, Iui aussi, son mot a dire dans la voie de Romain Rolland
au communisme. Ce n’est pas une coincidence si Part de Beethoven culmine
dans la Neuvieme Symphonie, hymne a la fratemite humaine.
C’est toujours la fratemite que cherche Romain Rolland dans sa
demiere oeuvre, ecrite pendant !’Occupation, Iorsque !’engagement
Communiste n’a plus de sens au vieillard qui a renonce a la politique. S’il
ecrit sur Peguy, son vieux compagnon d’armes, c’est en partie pour proteger
Ie souvenir de ce grand individualiste centre ceux qui veulent Pannexer.
Peguy, comme son biographe, a Iutte en homme Iibre pour maintes causes
disparates, et son eclectisme ideologique Pa amene a une image de la France
qui, sans etre tout a fait celui de Romain Rolland, est Suffisamment large
pour servir d’inspiration a la France demoralisee de l’apres-guerre. Mais
aussi Peguy est doue d’une riche vie Subconsciente qui s’exprime dans sa
creation poetique. Moins discipline que Beethoven, Peguy est Phomme de
la Spontaneite; ‘qui se confesse intrepidement jusqu’au fond [et qui] atteint
Ie fond de la conscience humaine’.32 Chez Iui aussi, on peut done etudier les
forces divines, d’autant plus que sa Creativite artistique est doublee d’une
conversion religieuse. La poesie de Peguy se lie a son catholicisme, et c’est
un chemin qui tente aussi Ie vieux Romain Rolland.
Dans la vie ecartee qu’il mene a Vezelay pendant !’Occupation, il est
entoure de catholiques. Il a toujours respecte la foi des autres, et il respecte
aussi Ie personnage du Christ, sans Iui attribuer plus de divinite qu’il n’en
attribue a tout grand homme, et sans ressentir Ie besoin d’uh tiers ou d’une
eglise pour eonnaɪtre Dieu: ‘Le Dieu vivant, oui, j’ai reςu, plusieurs fois,
directement son toucher de feu [...] Mais jamais par intermediaire d’un
Dieu d’histoire sainte’.33 Les approches de la mort Ie font cependant trouver
quelque chose d’insuffisant dans Ie Dieu spinoziste; il aspire a un sauveur
personnel, il ressent la nostalgic de la communaute des fideles, il ecoute
Claudel et quelques pretres qui Voudraient Ie Convertir et pendant les
derniers mois de sa vie il ebauche une serie de Commentaires sur les
Evangiles. Mais il ne se convertit pas. Dans ces Commentaires, il evite
d’affirmer la divinite du Christ; Phistoire de celui-ci est un ‘grand drame
humain,, et si on Ie ‘[fait] toujours participant a la divinite, on ne s,aperςoit
pas qu’ [...] on rabaisse beaucoup son sacrifice’.34 Ce Christ est surtout un