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fonction politique d’engagement et de dénonciation, attitude qui dépasse le caractère
strictement littéraire de leur activité. Si certains romantiques étaient déjà politiquement
actifs, cette tendance à s’engager dans l’action ou à produire des textes à orientation
sociale et polémique explose chez les écrivains de notre ère. Dans ce contexte, le poète
est désormais désacralisé : il n’est plus cet être rêveur dont le don de perception le rend
plus puissant que ses contemporains, mais un individu qui se débat, comme tout un
chacun, avec les angoisses d’un monde problématique et qui explore, dans l’intérêt de
tous, des modes de pensée et de vie plus satisfaisants. Baudelaire se rapproche du
premier type de poète tandis que Prévert et Césaire s’identifient au second.
La génération des écrivains déprimistes, comme Michel Houellebecq et Amélie
Nothomb, semble constituer l’évolution actuelle de cette tendance, marquée dès lors par
une impuissance de l’artiste à se faire guide de l’humanité. En effet d’un côté, Prévert et
Césaire conservent l’espoir d’un pouvoir humain sur la société et sa destinée ; ils invitent
alors le poète à trouver des réponses au mal-être de l’homme. D’un autre côté, la vague
d’écrivains contemporains semble uniquement mettre en scène l’individu, artiste ou non,
aux prises avec l’absurdité de l’existence, embrassant l’ambiance morose de la société
d’aujourd’hui sans chercher de recours pour vivre mieux dans le monde. Il n’est plus
alors que le porte-parole d’une humanité à la dérive. L’essai de Gilles Lipovetsky L’Ere
du vide décrit bien cette transition qui marque le passage entre les deux générations, entre
le moderne et le post-moderne.