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niveau de réaction est atteint lorsque « la révolution métaphysique s’éten[d] du moral au
politique [...] »7'5, allant du niveau uniquement perceptif et personnel à la sphère
collective et à l’action. Dans ce cadre, l’attitude révolutionnaire conduit à développer
une réflexion intellectuelle et approfondie autour des revendications en jeu ; Camus
explique : « Alors que l’histoire, même collective, d’un mouvement de révolte, est
toujours celle d’un engagement sans issue dans les faits, d’une protestation obscure qui
n’engage ni systèmes ni raisons, une révolution est une tentative pour modeler l’acte sur
une idée, pour façonner le monde dans un cadre théorique. »716 Finalement, la
revendication césairienne est bien cela : elle dépasse l’adoption individuelle d’une
perception nouvelle — à laquelle se limite la démarche prévertienne — pour entreprendre
une réflexion intellectuelle profonde qui donne naissance au concept philosophique et
politique de négritude. Cette notion aide alors à construire une rhétorique favorable à la
défense de cause qui préoccupe le poète : instaurer dans l’humanité un rapport plus
égalitaire et fraternel entre les peuples et les groupes sociaux.
Pour résumer, la réaction mise en scène dans les textes de Baudelaire, Prévert et
Césaire envers la condition humaine et sociale représente diverses étapes de l’évolution
de la révolte au sens camusien du terme : si celle-ci débute par la « négation absolue », le
refus total de l’ordre — chez Baudelaire, il s’agit en particulier des valeurs chrétiennes et
morales par l’évocation de moyens d’évasion comme l’ivresse et la mort —, elle tend
vers une initiative de reconstruction de repères, et ce par la prise en charge humaine de la
compréhension du monde et du futur de l’humanité — ce que suggèrent Prévert et
Césaire, ainsi que Baudelaire pour le poète, par une transfiguration esthétique. La révolte
715 80-81.
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