L’AMBIGUÏTÉ DE STENDHAL
En mon pais suis en terre Ioingtaine . . .
Villon
IL EST devenu de bon ton, dans certains milieux intellec-
tuels et littéraires, de revendiquer de la littérature “en-
gagée.” Cette tendance n’est pas neuve: à travers le coloris
politique et philosophique, on n’a pas de peine à reconnaître
les vieilles formes de la Querelle des Anciens et des Mo-
dernes. Rien n’est si passionnant ni si insoluble que pareil
débat. Il semble qu’il y eût toujours des écrivains qui s’en-
gagent et des écrivains qui ne s’engagent pas. Encore peut-on
trouver une troisième catégorie, car il y a une façon de s’en-
gager qui consiste précisément à ne pas s’engager. C’est ce
que nous nommerons la satire. Sans doute est-il sage de re-
vendiquer les écrivains de combat. Il faut des meneurs de
jeu: chaque siècle joue une comédie de sa propre invention.
Déjà Guillaume du Vair disait: “Remettons-nous devant les
yeux que nous venons en ce monde comme en une comédie,
où nous n’avons pas à choisir le personnage qu’il nous faut
jouer, mais seulement à bien jouer celui qui nous sera donné.”
Mais quelque part—dans les coulisses, ou en un coin de
scène—il y a un homme qui regarde et qui rit. Ce rire est
salutaire. Il nous sauve de cette sorte de ridicule—c’est la
définition même du mot—qui consiste à être trop entièrement
figés dans nos rôles. C’est le rappel à nous-mêmes. Toute
satire a pour but profond d’enseigner que nous sommes,
avant d’être des hommes politiques ou sociaux, des hommes
tout simplement. Le rire, disait Hobbes, est une forme de
convulsion; ce qui impliquerait, peut-être, ce léger déplace-
ment du masque qui fait que nous reprenons conscience de
nos propres épidermes. Je dirai que le bon acteur est celui
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