74 The Rice Institute Pamphlet
concert.” C’est Ie rappel à l’ordre—à un ordre intérieur. Plus
particulièrement, la satire a pour fonction de nous sauver de
notre propre sérieux. C’est Gide, je crois, qui a défini Mon-
taigne comme un grand libéral. Mais le vrai libéral—le libéral
profond—n’est-il pas celui qui saurait conserver son sens de
l’humour? Et c’est là précisément ce qu’on lui reproche: on
l’appelle cynique. Mais le cynisme est encore une forme
d’humour—la plus difficile, à vrai dire—qui consiste à Utifiser
le langage comme une défense contre le dogme. L’artiste en-
gagé-même le plus “existant”—s’abandonne, au moment de
la création, à la douce volupté de sa bonne foi. L’artiste
satirique—même le plus léger, le plus comique—procède par
ascèse: fi repousse le jeu. La distance est la condition même
de son rire.
Je crois discerner deux sortes de satiriques: le satirique in-
volontaire et le satirique conscient; autrement dit, des mi-
santhropes nés—car toute satire se dégage, nous l’avons vu,
sur un fond de misanthropie—et des misanthropes par acci-
dent ou par vocation. C’est dans cette deuxième catégorie
qu’on pourrait classer Marcel Proust; on pourrait montrer
chez lui les linéaments d’une apostasie morale qui s’est opé-
rée en lui comme une conversion. Le snob devient un railleur
de snobs. Le Sodomite se transforme en fouetteur de pédé-
rastes. Le demi-Juif se donne l’allure d’un antisémite: c’est la
seule règle de ce metier sans règles. Est-ce cela ce qu’on
appelle “ne pas s’engager?” Sans doute fallait-il l’engagement
entier, l’indignation virile et efficace, d’un Zola, pour extirper
les restes d’une société stérile, nuisible à la santé de la na-
tion, mais c’est bien le sourire doucement ironique d’un
Proust qui dégage, une fois pour toutes, le danger et l’absur-
dité d’un parti réactionnaire qui ne remplit plus sa fonction
propre, et qui prive la communauté d’une polarité qui lui est
nécessaire. Car toute satire—et c’est encore une valeur que les