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avec une conscience pure.” Et c’est précisément ce que les
héros Stendhaliens n’ont pas: une conscience pure. Ils sont
hantés par la tentation de Thespis. De toutes parts, Ie vaste
décor du monde les sollicite. A tout moment ils glissent vers
la scène. Cet effort pour se retenir, pour se rappeler à eux-
mêmes, leur donne cette gaucherie qui les caractérise, et qui
nous charme. Mais ne nous trompons pas. Ce n’est pas tout
à fait Ia gaucherie de l’adolescence: il faut dire qu’en leur
donnant cet âge tendre, notre Stendhal de la quarantaine
triche un peu. Ils sont maladroits par tension de la volonté;
ils souffrent d’une sorte d’ankylose spirituelle. Et au fond,
tous leurs malheurs viennent de là. “Au milieu de tant de
périls, il me reste MOI.” C’est le cri de Médée: mais il sonne
faux. Ces rêveurs sont aussi des ambitieux. Avant tout, ils
ont le goût du danger. Mais pour cela, il faut jouer son jeu—
sans cela, pas de risque. La vraie gloire d’Achille, c’est d’avoir
exposé son talon.
Il y a ainsi chez le héros de Stendhal un drame intérieur
qui côtoie sans cesse la comédie humaine, dont le sens est
justement de savoir si cette comédie en vaut la peine. M’en-
gagerai-je ou ne m’engagerai-je pas? Cette hésitation palpi-
tante, ce frisson continu, c’est la forme atténuée d’une folie:
folie sensée, à la vérité, folie de Hamlet. C’est pourquoi
l’attitude constante d’un Octave de Mahvert ou d’un Julien
Sorel, c’est celle d’un homme aux poings crispés: ils sont tout
nerfs, tendus, raidis, prêts à rebondir, comme des arbalètes
chargées. On n’a qu’a les frôler d’un mot ou d’un regard: Ia
flèche part. Cela explique le geste d’Octave jetant son domes-
tique par la fenêtre, et ces moments, si chers à tout stendha-
Iien, où le héros entre dans le café d’une ville étrangère: au
moindre mot il tire ses pistolets. C’est qu’il n’a pas ITabitude
du monde. Il lui manque le geste raisonnable, la parole
modérée, la démarche politique. Il crie ou il tue, et finale-