78 The Rice Institute Pamphlet
loin en loin, par des éclairs de conscience. On voit trop bien
qu’il sera empalé, à la fin, sur la pointe de sa propre sensibi-
lité. Le personnage comique est proprement un individu à
carapace: cela permet qu’on rie de lui sans trop s’occuper de
son état de santé. Mais on sait que, pour un Julien, le moulin
de Don Quichotte sera fatal. C’est Charles du Bos, je crois,
qui a remarqué chez lui des périodes de véritable somnam-
bulisme et c’est bien cet état de songe, de demi-conscience,
d’hallucination même, comme le dit très bien M. Henri
Martineau, qui précède le crime de Julien dans l’église de
Verrières. Mais cette élévation spirituelle, n’est-elle pas en-
core celle du héros espagnol? Il est alors le plus profondé-
ment replié sur lui-même, et en même temps le mécanisme
corporel sera libéré pour poursuivre, “à vide” mais avec une
efficacité accrue, la chasse du bonheur. C’est pourquoi, à mon
sens, l’église de la scène du meurtre est chargée d’une signifi-
cation symbolique. Car ce meurtre—qui ne réussit pas d’ail-
leurs, mais cela importe peu—n’a-t-il pas toutes les caractér-
istiques d’une extase? C’est alors que le héros atteint, dans
cette union parfaite et momentanée de son moi avec le
monde, à une sorte d’orgasme mystique. On voit bien, en
tout cas, que ces alternances de conscience et d’inconscience,
de rêverie et d’éveil, font des héros Stendhaliens des person-
nages indécis et essentiellement déséquilibrés. Leur passion
n’effraie pas et leur raideur ne fait pas rire. Ce sont des
hommes-enfants, des Figaro qu’on peut prendre pour des
Chérubin.
Chose curieuse, eux-mêmes rient souvent, mais c’est sans
humour. Ils ont de ces petits rires amers et secs, tout intéri-
eurs, qui sont comme des sons de cor de leur propre Différ-
ence. C’est ce rire qui monte dans la gorge de Julien au dîner
chez les Valenod, et qui le fait souvenir que la coquinerie
ordinaire du monde n’est pas son affaire. Et en même temps il