80 The Rice Institute Pamphlet
hystérique: ce sont ces mouvements de Julien, trop rapides
et trop saccadés, comme d’un homme méconnaissant sa pro-
pre force, qui ont effrayé Mme Derville, et qui sont comme
Ie premier avertissement de son crime. La caresse, c’est la
poésie du geste: mais Julien ne sait pas traduire sa douceur.
Il est figé contre l’amour en même temps qu’il est figé contre
le monde. Cette fêlure est infranchissable. Pour atteindre ses
maîtresses, il lui faudra une échelle. Il exige que le danger
prélude à la séduction et l’entoure. C’est pourquoi l’amour
sera chez lui encore une forme de duel—le plus intime qui
soit—et pourquoi, au premier signe de faiblesse chez Mme
de Rénal, un mot bizarre traverse l’esprit de Julien: “Vic-
toire.” Il se figure être Napoléon: il a osé jouer. Mais sa
timidité persiste et le stérilise contre le bonheur.
Certains critiques ont cru voir chez Stendhal les symp-
tômes d’une impuissance véritable, d’un platonisme par dé-
cret de la nature. Armance, qui met en scène un impuissant,
semblerait en être la preuve. On remarquera aussi l’absence
de scènes de séduction, chose curieuse dans ces romans où
l’amour est le thème constant. Cependant, une telle supposi-
tion est, à mon sens, entièrement fausse: c’est méconnaître
complètement la psychologie Stendhalienne. Et en tout cas,
pour ceux qui se sont inquiétés pour la virilité de notre
auteur, nous avons la parole d’Alberte de Rubempré pour
témoigner du contraire. La vérité, c’est que Stendhal et ses
héros se trouvent dans des situations analogues. Ce qui vient
s’interposer entre Stendhal et le bonheur qu’il désire avec
un si curieux mélange de nostalgie et d’ardeur, c’est encore
le jeu. Vouloir se donner n’est jamais suffisant: il faut savoir
s’y prendre. C’est le sens profond de la fameuse “cristallisa-
tion,” qui n’est autre chose, ce me semble, qu’une manière
de traduire sa propre timidité, son recul devant le jeu. Cette
sollicitation du dehors lui donne le vertige: il a l’horreur du