82 The Rice Institute Pamphlet
beaucoup d’esprit et fort insensible, roué même, et je vois
que j’ai été constamment occupé par des amours malheureux.
J’ai aimé éperdument Madame OubIy, Mlle de Griescheim,
Mme de Dephortz, Métilde, et je ne les ai point eues, et
plusieurs de ces amours ont duré trois ou quatre ans.” Voilà
qui est clair. Dom Juan est célibataire par bravoure—Sten-
dhal est célibataire par timidité. “J’eus tort de ne pas me lier
avec cette maîtresse de M. d’Ambray,” dit-il encore. Il y eut
aussi la Comtesse Dulong, femme admirable. “Je me suis
toujours repenti de ne pas l’avoir aimée.” Item, “la charmante
et divine comtesse Kassera,” qu’il a connue à Milan à l’épo-
que de Métilde. Jamais homme ne fut si habile à s’esquiver
devant l’amour, ou à se donner, comme les amants de Mari-
vaux, des obstacles imaginaires. En présence de toutes ces
femmes, le réflexe est toujours le même: Beyle est raidi et
grisé à la fois: raidi par le doute, grisé par une tentation im-
périeuse, hébété finalement par un va-et-vient qui fait de lui
un prétendant et un “plaqué” permanents.
On est tenté de trouver Texpfication de cet échec dans
l’attitude, que je tiens pour significative, de Beyle enfant de-
vant sa mère: “En Taimant à six ans peut-être (1789), j’avais
absolument le même caractère qu’en 1828, en aimant à la
fureur Alberte de Rubempré. Ma manière d’aller à la chasse
du bonheur n’avait au fond nullement changé. ... Je voulais
couvrir ma mère de baisers et qu’il n’y ait pas de vêtements.
Elle m’aimait à la passion et m’embrassait souvent, je lui
rendais ses baisers avec un tel feu qu’elle était souvent ob-
ligée de s’en aller. J’abhorrais mon père quand il venait inter-
rompre nos baisers.” Il y a là de quoi faire tourner la tête à
un freudien. Ce n’est nullement notre intention de flairer ici
toutes les répercussions d’un complexe d’Oedipe: ce serait
entamer une thèse médicale. Cependant il est toujours ma-
laisé, sinon impossible, de déterminer dans le cas de Stendhal