L’ambiguïté de Stendhal 75
partisans d’une littérature “en situation” ne reconnaissent pas
—comporte des résonances qui la dépasse. Elle reste—un Can-
dide, un Mariage de Figaro, un Sodome et Gomorrhe-
comme un avertissement permanent contre des ridicules qui
ne demandent qu’à changer de forme pour s’actualiser.
Je dirai volontiers que Stendhal est un satirique né—bien
plus: c’est un satirique malgré lui, un satirique sans précisé-
ment vouloir l’être. C’est en quoi, nous le verrons, consiste
ce que j’appellerai son “échec.” Tout d’abord, il a le sens
inné de la comédie. C’est là la pierre de touche du génie
satirique: savoir que c’est d’un jeu qu’il s’agit. Tous les héros
de Stendhal se trouvent en face de ce problème. Leur desti-
née c’est de vivre à l’écart de la scène où jouent les fantoches
balzaciens—car il y a du Balzac chez Stendahl-dans des im-
broglios complexes et sans fin: Rénal dans son petit village
de province, de la Mole dans la capitale, Rassi et Mosca à la
Cour de Parme. Ce sont là des acteurs. Remarquez que sous
cet éclairage—éclairage de théâtre—la morale n’a plus de
sens. Un acteur n’est jamais proprement “méchant”: ce serait
le confondre avec son rôle. Il n’y a, en fin de compte, que de
bons acteurs et de mauvais. On réussit ou on ne réussit pas.
C’est parce que Valenod joue bien le coquin qu’il deviendra
baron et maire de Verrières, et le père Leuwen une puissance
à la Chambre. On voit que l’énergie Stendhalienne-quoi
qu’en pense un Nietzsche—n’est pas encore l’énergie pure du
surhomme. C’est tout simplement la force du jeu: pour
Stendhal, comme pour ses héros, le parfait comédien est
Napoléon. Il y a là, il faut l’avouer, une confusion fondamen-
tale. L’énergie se meut dans le monde: elle réclame un fond
de politique comme un éclair réclame un fond de ciel nua-
geux. C’est pourquoi le culte de Napoléon ou des carbonari
italiens sera pour Stendhal une contradiction grosse de dan-
ger. “Rire,” dit Nietzsche, “c’est prendre plaisir au mal, mais