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Cette rapide incursion dans Ie massif clairsemd du conte diderotien
suffit a montrer que les notions de transgression et de contestation,
quoiqu’absentes du Iexique des Lumieres, sont au centre de la reflexion
morale et politique ddveloppde par l,un de Ieurs plus dminents representants.
La lecture de ces contes, que l,on n’appellera ‘moraux’ que pour les besoins
de la taxinomie gdndrique, fait surtout apparaιtre une distinction extremement
fine et argumentde entre des postures que Pideologie modeme a souvent
abusivement confondues. Diderot est certes 1’un des premiers dcrivains-
philosophes a etre fascines par les attitudes transgressives. Toute Γoeuvre de
Pinventeur du Neveu de Rameau (qu’il a fallu passer ici sous silence) est
traversde par d’inquietants personnages qui pratiquent avec insolence et
panache la transgression des Iois civiles et religieuses. Chez Diderot,
Pecrivain se prive rarement du benefice esthdtique escomptd de !’evocation
des ‘grands scdldrats,, tandis que Ie philosophe fait de Pdtude des deviants
de toute sorte une voie d’acces privildgide a la comprehension des
phdnomenes humains. Mais cette fascination pour les grands transgresseurs
se double toujours d’un sentiment de commiseration envers ceux qui,
incapables de transgression et victimes de ce fait d’une ‘legislation absurde,,
paient cher Ieur soumission a !’incoherence des trois codes. Temoins
!’heroine involontaire de la Religieuse, non moins que la fatale Superieure
de Longchamp, trop faible de tete pour pouvoir assumer jusqu’au bout sa
transgression de la Ioi religieuse. Temoins encore ces ‘infortunes a propos
de rien’ qui peuplent les contes, ‘comme Tanid, Mile de La Chaux, Ie
chevalier Desroches et Mme de La Carliere5. Si ces personnages sont ainsi
passes en revue a la demiere page du Supplement, c’est prdcisdment qu’ils
Alustrent les consequences, ddsastreuses au plan humain, de Pabsurde
contradiction des codes qui rdgissent la vie des hommes civilises. C’est assez
dire que Pecriture meme de ces contes, vouds a explorer les chemins de la
transgression, est tout entiere commandde par une Iogique de la contestation.
Cette contestation s’exerce on Pa vu a Pencontre d’une double
legalite, civile et religieuse. Si les mdfaits d’une telle Iegalite peuvent etre
Alustres dans des contes moraux oil s’exposent des problemes relatifs a la
vie privde, c’est que loin de constituer une simple superstructure politique,
celle-ci pdnetre tres avant dans Pintimitd de la personne, sous la double
forme du prdjugd religieux qui fait Ie malheur des protagonistes du roman
et de la convention sociale qui fait celui du personnel des contes. Car la
question du bonheur ou du malheur des hommes reste tout a la fois !’horizon
de 1’dcrivain rdaliste et !’etalon du philosophe politique. C’est pourquoi la
reflexion morale s’adosse a Penqudte ethnologique, tandis que Ie Supplement
au voyage de Bougainville Constitue paradoxalement la cld de voute de la