45
regard de la Ioi tahitienne, Felix et Olivier recouvrent Ieur innocence
naturelie. Ce qui distingue fondamentalement la legislation d’un peuple
primitif de celle des civilises, c’est que la premiere est regie par un code
unique, derive au plus pres des Contraintes imposees par la nature, alors que
la seconde ne cesse de naviguer entre les exigences Contradictoires de la
nature subsistante, de la Contrainte civile et de Pideologie religieuse. C’est
la fameuse theorie des trois codes, esquissee dans Ie Salon de 1767,
developpee dans Ie Supplement et reprise tant dans VHistoire des deux Indes
que dans les Entretiens avec Catherine II et les Observations sur Ie Nakaz.
Or cette doctrine, qu’il est inutile de developper ici tout au long, foumit un
cadre theorique a la question de la transgression, qu’elle permet ainsi de
poser dans sa plus grande extension et avec une acuite renouvelee:
Comment voulez-vous que des Iois s’observent quand elɪes se Contredisent?
Parcourez Phistoire des siecles et des nations tant anciennes que modemes, et vous
trouverez les hommes assujettis a trois codes, Ie code de la nature, Ie code civil
et Ie code religieux, et Contraints d’enfreindre aɪtemativement ces trois codes qui
n’ont jamais ete d’accord.
Loin de s’aviser de justifɪer des transgressions ponctuelles de la Ioi civile,
un tel texte explique que !’infraction decoule Spontanement de la loi, qu’elle
en est Ie Corollaire oblige, qu’elle resulte de la constitution meme des societes
civiles telles qu’elles sont apparues dans Ie cours de 1’Histoire. Encore faut-
il prendre Pexacte mesure de la these diderotienne, et ne pas se meprendre
sur sa signification demiere. Diderot ne veut pas dire par la que la Ioi entraine
necessairement a sa suite la transgression, ni qu’elle appelle la transgression
en vertu d’une dialectique fondamentale de la ПЬеЛё humaine desireuse
d’affronter tout ce qui pretend la limiter, voire en vertu de la Iogique perverse
mise en Iumiere par la theorie psychanalytique. Sans doute un tel mode de
pensee n’est-il pas totalement absent chez Diderot, non plus que chez la
plupart des philosophes eclaires. Mais la doctrine des codes ne se stale pas
a un tel niveau, dont il est aise de voir qu’il naturalise abusivement la
transgression en permettant du meme coup de faire Peconomie de toute
volonte de refonte de la legislation civile. Telle n’est Certainement pas la
pensee demiere de Diderot, et Pon peut inversement supputer a bon droit que
la doctrine des trois codes a ete tout Specialement elaboree pour contoumer
une these bouchant definitivement tout espoir de reforme. Si elle ne resulte
pas de !’existence meme de la loi, mais de Pincoherente juxtaposition de
codes Contradictoires, par ou les hommes se voient ‘contraints de (Ies)
enfreindre altemativement,, alors la transgression n’apparait plus comme
etant Organiquement Iiee a la Ioi civile, mais seulement comme la necessaire
consequence d’une legislation defectueuse. Le cordonnier de Messine est