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cadre dialogique initial, Ie fil rouge de la Sicile. Ou plutδt de la Calabre, mais
c’est tout un: ‘et cette anarchie de la Calabre vous plait?’. Sans repondre
franchement par la positive, Ie texte explore brievement les avantages de
Panarchie sur la vie civile:'
A. - Mais enfιn, dites-moi, faut-il civiliser Γhomme, ɑu Tabandonner й son
instinct?
B. - Si vous vous proposez d’en etre Ie tyran5 Civilisez-Ie (...). Le vouɪez-vous
heureux et libre? ne vous melez pas de ses affaires (...) et demeurez a jamais
convaincu que ce n’est pas pour vous, mais pour eux, que ces sages Iegislateurs
vous ont p6tri et maniere comme vous Petes. J’en appelle й toutes les institutions
politiques, civiles et religieuses. Examinez-Ies profondement, et je me trompe fort,
ou vous у verrez Tespece humaine ρliee de siecles en siecles au joug qu’une
poignee de fripons se promettait de Iui imposer. Mefiez-Vous de celui qui veut
mettre de Tordre. Ordonner, c’est toujours se rendre maɪtre des autres en Ies
genant; et les Calabrais sont ρresque les seuls й qui la Aatterie des Iegislateurs n’en
ait point encore impose.
Voila des propos de portee gendrale dont on voit de suite qu’ils peuvent
servir a justifier les attitudes transgressives decrites dans les contes. Si la Ioi
civile n’a pas dtd faite dans Finteret de tous, mais Seulement au profit d’une
‘poignee de fripons’, sa transgression devient non Seulement comprehensible,
mais encore legitime. Felix et Olivier d’une part, Ie Cordonnier sicilien de
l’autre, dont Ie moins qu’on en puisse dire est qu’ils ne tirent aucun avantage
de cette loi, sont done fondds qui a la transgresser, qui a s’en faire
Finterprete. Et Ie cas de conscience qui tracassait Diderot Ie pere et Fhumble
Chapelier de Langres se dissipe comme les brumes matinales dont la mention
assure la transition entre les contes et Ie Supplement. Est-ce a dire que
Diderot approuve positivement la transgression des Iois civiles? La rdponse,
on s’en doute, n’est pas aussi simple, et demande que 1’on prenne en
Considdration Penseignement tire de Fapport ethnologique foumi par la
lecture de Bougainville. C’est a cela et a rien d’autre que doit en effet servir
Fetrange supplement conςu par Diderot.
L’excellence de la legislation tahitienne provient a la fois de son
unicite et de sa Conformite a Fordre de la nature. ‘Rien n’y est mal par
!’opinion ou par la loi, que ce qui est mal de sa nature’, si bien que
Contrairement aux socidtds civilisdes, elle dvite de ‘multiplier les mdchants,
au lieu de faire des bons,. (Diderot reprend ici un texte qui court dans toute
la philosophic politique des Lumieres qui, loin de condamner 1’idde
anarchique, en fait une sorte de concept rdgulateur de sa pratique. Des Ies
Lettres persanes (1721), Montesquieu remarquait que ‘la loi, faite pour nous
rendre plus justes, ne sert souvent qu’a nous rendre plus coupables,.) Au