Moi individuel et moi cosmique
Dans la pensee de Romain Rolland
Richard Francis
Nottingham
La mauvaise sante et la mort prematuree d’une sæur accordent au
jeune Romain Rolland une enfance difficile, marquee par 1’obsession de la
mort et Ie sentiment d’etre emprisonne. Il rejette Ie Catholicisme de son
milieu bourgeois pour s’evader dans la nature, la Iitterature et la musique, et
surtout dans une suite d’experiences mystiques qu’il appelle des eclairs,1
dont un des plus intenses est inspire par la lecture de Spinoza. N’etant ni
Iogicien ni metaphysicien, il admet que les idees qu’il en tire manquent de
precision, mais c’est Ie debut d’une longue reflexion fievreuse qui remplira
ses annees d’etude a 1'Ecole Normale Superieure. Le resultat est une
profession de foi intitulee Ie Credo quia Verum, redige en 1888. L’auteur se
detachera de ce texte bizarre oil se melent aussi Renan, Tolstoi, Wagner et la
philosophic orientale, mais il у pose Ie probleme du moi d’une faςon qui
marquera toute son æuvre.
Au jeune Normalien, Spinoza offre la grande idee pantheiste, ‘Deus
sive natura Dieu et la substance de la nature sont identiques, done meme
lui, Petre chetif nomme Romain Rolland, fait partie de Dieu. Voila, pour lui,
‘la reponse a Penigme du Sphinx qui m’etreint depuis 1’enfance, - a
Pantinomie accablante entre Pimmensite de mon etre interieur et Ie cachot
de mon individu! [...] ‘Tout ce qui est, est en Dieu!’ Et moi aussi, je suis en
DieuP2 Lorsqu’il precise sa notion de ce Dieu, il Ie decrit comme un Moi
universel, present en Iui comme dans tout individu:
Au fond de la conscience du moi, dans mon etroite poitrine, Sommeille Ie Moi
divin, Ie Je absolu. Je seuɪ existe. Je suis Romain Rolland, et en chacune de ses
sensations. Mais Je Ie deborde, Je suis en dehors de lui, Je suis tous ceux qui
Pentourent.3
Il existe done dans Phomme deux ‘moi’, Ie Moi divin, dont la
conscience fait surface a des moments privilegies, et Ie moi individuel de la
vie quotidienne. La tragedie de cette dualite, c’est que Ie moi individuel ne
comprend guere les autres etres avec qui il doit vivre; de la viennent tous les
Conflits du monde. Mais puisque tous sont unis dans Ie Moi divin, il faut
supposer que ces conflits sont en quelque sorte subsumes par eeɪui-ei, et la