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un homme ‘grand par Ie coeur’,9 qui ‘fait ce qu’il peut’,10 et qui sait ‘voir Ie
monde tel qu’il est - et [...] l’aimer’.11 Pour cela, il n’a pas besoin de talents
exceptionnels; il suffit de maintenir Fintegrite, la volonte et la fraternite,
bref Petincelle divine dans Γhomme. Cela semble peu, mais en face de la
mediocrite du monde c’est beaucoup, et Romain Rolland ecrit pour
encourager une elite d’hommes et de femmes qui у aspirent dans Ieur
existence obscure. Les principaux heros de ces volumes sont des artistes,
mais Jean-Christophe est plein egalement de heros humbles.
Le role essentiel de !’artiste est d’exprimer Ie Moi cosmique latent
dans tout individu. Jean-Christophe raconte la vie d’un artiste de la
naissance jusqu’a la mort, et cette vie s’inaugure avec la separation du moi
individuel d’avec Ie Moi cosmique. Romain Rolland s’interesse a 1’enfance
parce que Ie nouveau-ne, fraɪehement dechire de tout contact avec la vie
prenatale, ressent cette separation d’une faςon aigue. Mais la vie cosmique
coule, comme Ie Rhin, dans les profondeurs de Fetre de ce jeune musicien
rhenan qui sait у replonger a des moments privilegies. Dans sa musique, il
transmet Ie fruit de ses extases, et la reunion des deux Moi est scellee par la
mort. Chaque fois que meurt un etre aime de Christophe, la vie de cet etre se
jette dans la sienne comme un affluent dans un fleuve. Christophe s’en
enrichit, et lorsqu’il meurt lui-meme, se precipitant dans la vie Universelle
comme un fleuve qui rejoint 1’ocean, c’est dans une sorte d’extase musicale
qui celebre la vie nouvelle. Les images Huviales et Oceaniques sont
Caracteristiques de Romain Rolland; ce n’est pas par hasard qu’il invente
pour son æuvre Ie sobriquet de roman-fleuve.
Dans Ie volume de Jean-Christophe intitule Le Buisson ardent,
Christophe Confronte son Dieu dans un dialogue oil Γauteur reformule son
pantheisme. Dieu ne s’identifie plus avec tout ce qui existe, mais seulement
avec les etres qui vivent:
Je ne suis pas tout ce qui est. Je suis la Vie qui combat Ie Neant. Je ne suis pas Ie
Neant. Je suis Ie Feu qui brule dans la Nuit. Je ne suis pas la Nuit. Je suis Ie
Combat eternel; et nul destin etemeɪ ne plane sur Ie combat. Je suis la Volonte
libre, qui Iutte eternellement. Lutte et brule avec moi!12
Dieu est tout ce qui est vital dans Γ homme, et pour se realiser, il s’engage
dans une Iutte contre Ie Neant, Iutte dans Iaquelle il a besoin de 1’homme en
tant qu’instrument Iibre de la volonte divine. Cette celebration de la vie
reflete la Iutte de Romain Rolland pour ranimer une France decadente, et la,
la force vitale importe plus que son expression ideologique. Toute vie est
bonne, et dans la nouvelle France que represente Jean-Christophe, toutes les
tendances ideologiques ont Ieur role a jouer, comme les roles individuels
dont Fharmonie est envisagee dans Ie Credo quia Verum.