Prévert, lui, est surtout un poète populaire, un écrivain du grand public. Il affirme
lui-même qu’il « écri[t] en mauvais français pour les mauvais français »5 et déclare avec
désinvolture qu’il « [s]e fou[t] complètement de ce qui se passe en littérature ».6
Cependant, son entrée dans la Bibliothèque de La Pléiade en 1992 lui confère désormais
aussi une reconnaissance et une attention académiques grandissantes. Dénigré parfois de
nos jours, il est en son temps admiré de beaucoup, des poètes comme des intellectuels.
La notice de Danièle Gasiglia-Laster et Arnaud Laster atteste par exemple du caractère
d’« événement littéraire» que prend la publication du recueil Paroles aux yeux de la
presse.7 D’autre part, Georges Bataille rend hommage à la conception anti-lyrique de la
poésie prévertienne, insistant sur le fait que l’auteur « ne soit nullement étranger aux
soucis d’expression poétique les plus cultivés. Il les connaît bien, [et] il s’en moque,
[...]».8 Bataille salue aussi les qualités discursives et stylistiques de l’écrivain,
caractéristiques qui se retrouvent dans ses textes « parlés » ; le penseur remarque en effet
qu’« il n’est personne, à [s]a connaissance, qui donne un tour de profondeur si folle à une
conversation plaisante, faite de noires saillies et d’un jeu verbal enragé ».9
Césaire enfin, bien qu’intellectuel cultivé, offre sa poésie à tous, aux érudits
comme à la foule. Il affirme en effet que l’appréhension de son œuvre n’est pas une
5 Andrée Bergens, Prévert (Paris : Editions Universitaires, 1969) 71.
6 Bergens 17.
7 Danièle Gasiglia-Laster et Arnaud Laster, notices, documents et notes, Œuvres complètes, par Jacques
Prévert, vol. 1 (Paris : Gallimard, 1992) 997.
8 Georges Bataille, «De l’âge de pierre à Jacques Prévert (ou les liens de la poésie à l’événement) »,
Critique 3-4 (1946) : 200.
9 « De l’âge de pierre à Jacques Prévert » 200.