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donner suite en desesperant une dizaine de misereux au profit d’un riche et
inflexible notable parisien. Apres avoir consulte un pretre ‘distingue par la
siɪrete de ses Iumieres et la saintete de ses moeurs,, il se decide la mort dans
Fame pour Ie second terme de !’alternative: respecter la Iettre de la loi,
desheriter les misereux et enrichir Ie riche. La discussion est Iancee parmi
les membres de la famille, opposant Γun a l’autre les deux fferes, Fabbe
Didier et Denis Ie philosophe. L’abbe opine sans surprise qu’il faut toujours
s’en tenir ‘strictement a la loi,, crainte de ‘prononcer un arret equitable dans
un cas determine, mais funeste dans mille autres par la multitude de
desordres auquel il ouvrirait la porte’. Le philosophe soutient de son cote
qu’il fallait detruire la piece inique, au motif que ‘la raison de Fespece
humaine (est) tout autrement sacree que la raison d’un Iegislateur5. La
discussion porte done sur la notion meme de ‘loi’, sur la validite des Iois
civiles en regard de ‘la raison’, de ‘1’instinct’, du ‘coeur’, tous termes
Sollicites par Ie philosophe pour justifier une transgression ponctuelle de la
Ioi et contester la pertinence d’une attitude Iegaliste qui manifeste surtout
‘!’influence pemicieuse (...) des faux principes sur Ie bon sens et Fequite
naturelle,. Comme on voit, transgression et contestation sont au coeur meme
du conte diderotien.
Voila pour les contours ideologiques du debat ou de la
‘contestation’, qui designe dans la rhetorique judiciaire Ie fait de ‘plaider
en produisant des temoins des deux parties’. Mais Finventivite Iitteraire de
Diderot excede Iargement un tel dispositif. De fait, la ‘contestation’ en
cours se voit Constamment interrompue, a la fois par des details realistes
destines a raviver Fambiance provinciate et rustique de VEntretien, et, plus
fondamentalement, par des intrusions de personnages qui sont chacun
porteur d’un nouveau dilemme, dont Fexamen tout a la fois coupe et
enrichit la dispute principale. (Dans VEntretien, Diderot met partout en
oeuvre la technique narrative dont il a esquisse la theorie a la fin de Ceci
n,est pas un conte: (le conteur) ‘parsemera son recit de petites
Circonstances si Iiees a la chose, de faits si simples, si naturels, et toutefois
si difficiles a imaginer, que vous serez foπte de vous dire en vous-meme:
‘ma foi, cela est vrai; on n’invente pas ces choses-la.’ C’est ainsi (...) qu’il
satisfera a deux conditions qui semblent Contradictoires, d’etre en meme
temps historien et poete, veridique et menteur’ (Ceci n ,est pas un conte,
ρ. 480)). C’est ainsi que fait irruption, dans une maison ouverte a tout
venant qui peut etre tenue pour une metaphore du texte diderotien, ouvert
a toute parole, Ie medecin de famille venu prendre Ie pouls de son patient.
Or ce medecin s’achame presentement a soigner un fripon dont il у a fort
a parier qu’a peine ratabli, il devra subir ‘une peine infamante, sinon