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maladie; que c’etait Ia seule chose qu’il Iui fiɪt permis de eonnaɪtre; que 5 'Hfaisait
un pas au-dela, bientδt H ne saurait plus ой s 'arreter; que ce serait abandonner
la vie des hommes 4 la merci de !’ignorance, des passions, du prejuge, si
Pordonnance devait etre preced⅛e de Γexamen de la vie et des moeurs du malade.
‘Ce que vous me dites de Nivet, un jans6niste me Ie dira d’un moliniste, un
catholique d’un protestant. Si vous m’ecartez du lit d’un Cartouche, un fanatique
m’ecartera du lit d’un athee. C’est bien assez que d’avoir a doser Ie remede, sans
avoir encore 4 doser la mechancete qui permettrait ou non de Fadministrer.
!/argumentation developpee par ɪe pretre ne diflere pas, en son fond, de celle
opposde par Ie medecin. Elle pointe elle aussi les consequences a long terme
de toute transgression de la Iettre meme de la loi, celle-ci s’autorisat-elle des
sentiments les plus honnetes et par ailleurs les plus Iouables:
Les juges s’en tiennent Strictement 4 la loi, comme mon pere et Ie pere Bouin, et
font bien. Lesjuges ferment, en pareil cas, les yeux sur les circonstances, comme
mon pere et Ie pere Bouin, par 1’effroi des inconvenients qui s’ensuivraient, et font
bien. Ils Sacrifient quelquefois centre Ie temoignage meme de Ieur conscience,
comme mon pere et Ie pere Bouin, Finteret du malheureux et de Finnocent qu’ils
ne pourraient sauver sans Iacher la bride 4 une infinite de Iripons, et font bien. Ils
redoutent, comme mon pere et Ie pere Bouin, de prononcer un arret Equitable dans
un cas determine, mais funeste dans mille autres par la multitude de desordres
auxquels il Ouvrirait la porte, et font bien.
Meme texte encore dans la bouche du pere: ‘si vous Iacerez de votre autorite
privee un billet, pourquoi n’en Iacerez-Vous pas deux, trois, quatre (...). Ce
principe de commiseration peut nous mener loin.’ Face a Pargumentaire serre
de ses interlocuteurs, on remarquera d’abord que Ie philosophe renonce a
contester Ie bien-fonde des lois, preferant opposer a Ieur universalite abstraite
un examen au cas par cas, ce qui revient a privilegier la juridiction de la
conscience individuelle. A la posture Iegaliste et formelle qui ne cherche qu’a
agir Conformement a la regie, Ie philosophe substitue Ie Iibre examen de ses
titres: ‘dans ces circonstances et beaucoup d’autres, je la cite au tribunal de
mon coeur, de ma raison, de ma conscience, au tribunal de Fequite naturelie.’
On notera au passage !’usage metaphorique du terme de tribunal, qui permet
de recuperer au profit de Fautonomie individuelle Ie symbole meme de la
legalite. On notera aussi, bien sur, Feffet de serie par Ie truchement duquel
des categories relevant du registre personnel (‘mon coeur,, ‘ma raison’, ‘ma
conscience’) sont immediatement versees au compte d’un universel abstraiζ
'Pequite naturelle,. Ces manoeuvres rhetoriques de bon aloi n’ont d’autre but
que d’ouvrir la voie a la transgression de la loi: ‘je Finterroge, je m’y
soumets ou je Pannule.’. On aura reconnu sans peine, dans une telle
procedure, une illustration particuliere de la demarche generale des Lumieres
(‘Aie Ie courage de te servir de ton propre entendement! Voila la devise des