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La misère, on ne pouvait pas dire, s’était donné un mal fou pour l’achever.
Elle avait creusé l’orbite, l’avait fardé d’un fard de poussière et de chassie
mêlée.
Elle avait tendu l’espace vide entre Taccrochement solide des mâchoires et
les pommettes d’une vieillejoue décatie. Elle avait planté dessus les petits
pieux luisants d’une barbe de plusieurs jours. Elle avait affolé le coeur,
voûté le dos.353
Plus généralement, Césaire sublime la souffrance de la collectivité de Fort-de-France face
à une oppression coloniale qui la laisse affamée, misérable et furieuse, mais aussi
apathique et immobile. Le poète constate que « [...] dans cette ville inerte, cette foule
[est] à côté de son cri de faim, de misère, de révolte, de haine »354 : c’est une masse
passive, incapable de se battre contre une condition de vie intolérable. Son immobilité se
perçoit aussi par son manque de solidarité puisque, se désole le poète, c’est une « étrange
foule qui ne s’entasse pas, ne se mêle pas [..., une] foule qui ne sait pas faire foule ».355
Ici, l’anonymat du groupe conduit à l’impuissance pour Césaire ; c’est un obstacle au
bien-être du peuple noir et à la victoire sur !’oppression coloniale puisqu’elle est
synonyme de manque d’identité et d’absence d’élan collectif.
354 Cahier 42.
355 Cahier 42.