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Ici, le poète pose les termes de la langue française comme des éléments qui n’importe que
parce qu’ils se positionnent par rapport à lui-même : leur signification, comme leur forme
sonore et graphique, ne se construisent pas à partir d’une «constellation », c’est-à-dire
d’un système linguistique et culturel quelconque mais en fonction de ce moi particulier,
individualité qui privilégie le côté imaginaire, irrationnel et sensoriel, le « spasme
délirant » des termes employés.
Suivant cette perspective, la conception artistique de Césaire repose sur
l’innovation et la transgression, portant de même sur les événements présents et le
quotidien du poète. La poétique césairienne introduit en effet un lexique familier, tiré de
la vie journalière des tropiques ou de la culture traditionnelle africaine : «[...] mots
vulgaires ou familiers, mots du terroir créole ou africain, mots du vieux français,
néologismes, mots de sonorités pures », liste Leiner.349 Il s’agit par exemple de l’usage
de termes faisant référence à des éléments locaux peu connus des lecteurs de la
métropole, en particulier des animaux et des végétaux tropicaux, ou bien encore à des
appellations créoles. Ainsi, le texte « Elégie » foisonne de références portant sur la
culture antillaise, sur la végétation tropicale comme les « flamboyants », les « aréquiers »
et les « canéfices », et sur les légendes locales comme les « souklyans ».350
Dans le cadre de la transfiguration esthétique, la poétique de Césaire utilise la vie
tropicale et la quotidienneté bien au-delà de l’introduction d’un certain lexique : elle
développe aussi une nouvelle symbolique inspirée de l’histoire de l’esclavage et de
348 Aimé Césaire, « Mot », Corps perdu 268.
349 vol. 1 39.
350 272. D’après le Glossaire des termes rares dans l'œuvre d’Aimé Césaire de René Hénane (Paris : Jean-
Michel Place, 2004), l’aréquier est un terme d’origine malaise qui désigne un type de palmier (21) ; le
canéfice vient de l’espagnol et fait référence à un arbre utilisé pour ses vertus laxatives et purgatives (34).
Un Souklyan est l’appellation créole pour un mauvais génie qui habite les arbres (123).