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le grand sabre noir des flamboyants le crépuscule qui est
un trousseau de clefs toujours sonnant338
Comme l’illustre cet extrait, la démarche poétique et esthétique que favorise Césaire
rappelle bien la pensée baudelairienne sur la correspondance. Ainsi au sujet de la langue
elle-même, le poète martiniquais développe toute une sensibilité particulière envers les
termes français, ceux-ci évoquant en lui des rapports à ses cinq sens ; il déclare : «je
crois d’ailleurs [...] que le mot a sa musique, sa couleur, sa forme, sa force poétique ».339
La perception transfigurative baudelairienne fonctionne de la même façon : la nature, par
exemple, devient à travers le regard poétique comme un espace où « [l]es parfums, les
couleurs et les sons se répondent » dans « Correspondances ».340 L’appréhension de la
vision césairienne se fait alors sur un mode comparable à celui de la perception
baudelairienne, c’est-à-dire par un déchiffrement, un décodage des liens sensibles et
métaphoriques entre les choses observées. A ce propos, Jacqueline Leiner dira que « [...]
l’œuvre césairienne, véritable palimpseste, requiert participation intuitive et
déchiffrement [...] ».341
De cette préférence à l’image dans sa perception, le poète construit une
conception de l’art poétique qui est similaire à celle des deux autres poètes. Au sujet de
ses propres créations, Césaire constate en effet son lien de parenté avec le mouvement
symboliste, dont Baudelaire est le précurseur, et avec le mouvement surréaliste, dont
338 Aimé Césaire, « Elégie », Corps perdu 272.
339 Cité par Leiner, vol. 1 117.
340 v.8.
341 vol. 1 16.