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appréhension du monde, annonçant le crépuscule, c’est-à-dire la fin de la domination du
rationnel : « Raison, je te sacre vent du soir », déclare-t-il.329 Ainsi fait, il proclame alors
sa fidélité sans faille, pour lui et son peuple, à une perception du monde selon
l’imagination absolue : « nous nous réclamons de la démence précoce de la folie
flamboyante », statue-t-il.330 Cet appel à la libération et à l’inédit perceptifs relie
clairement Césaire et Baudelaire. Le poète martiniquais rend d’ailleurs directement
hommage à la vision de son prédécesseur par une référence à l’albatros dans son poème
« Aux écluses du vide ». Dans le célèbre texte « L’Albatros », Baudelaire trace un
parallèle entre le poète et l’animal331 : ce sont tous deux des «rois de l’azur»332
puisqu’ils détiennent le pouvoir de s’élever au-delà du domaine terrestre, c’est-à-dire
dans le cas de l’artiste, de percevoir les choses hors des apparences et du connu. Dans ce
contexte, lorsque Césaire parle des ailes de l’animal dans « Aux écluses du vide », il fait
référence à cette faculté même de vision et d’inspiration poétiques exceptionnelles ; ce
sont en effet les ailes qui, concrètement, rendent possible l’élévation. Ainsi, en
déclarant: «J’attends le bouillonnement. J’attends le coup d’aile du grand albatros
séminal qui doit faire de moi un homme nouveau »333, Césaire affirme donc chercher,
comme sait le faire le poète chez Baudelaire, une vision et une inspiration inédites — un
coup d’aile d’albatros séminal. Cet élan perceptif vers le nouveau, qui libère Césaire des
329 5 3.
330 5 3.
331 Charles Baudelaire, « L’Albatros », Les Fleurs du mal 10 (« Le Poète est semblable au prince des
nuées », v.13).
332 v.6
333 Aimé Césaire, « Aux écluses du vide », Soleil cou coupé 249.