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règles traditionnelles d’appréhension du monde, lui permet de dévoiler une conception
autre de la réalité, comme celle qu’il décrit dans le Cahier
où l’éclair de colère lance sa hache
verdâtre et force les sangliers de la
putréfaction dans la belle orée violente
des narines.334
Comme chez Baudelaire et Prévert, la vision esthétique de Césaire se construit à
partir de correspondances imagées, de rapprochements inédits entre les éléments du
monde. Dans une lettre à Lilyan Kesteloot au sujet de la création littéraire par exemple,
Césaire décrit bien l’image, outil de transfiguration perceptive, comme un composant
essentiel de la perception poétique : elle « relie l’objet ; achève, en en montrant la face
inconnue, d’accuser sa singularité, [...] définit non plus son être mais ses potentialités ;
bref, le dote de sa transcendance fondamentale. C’est pourquoi il est vrai de dire qu’elle
est essentielle à la poésie ».335 En d’autres termes, l’image permet d’élever la vision de
l’objet vers une valeur et un intérêt nouveau. La correspondance métaphorique est donc
bien à même d’ouvrir sur la découverte de caractéristiques inédites des objets observés,
ce que recherche Césaire à travers la transfiguration esthétique. Ainsi déclare-t-il en
effet :
Pour moi, au contraire, l’image n’est pas une dégradation, l’image est
prégnante. Et puis, c’est un dépassement de soi ; j’avance, je ne recule pas
dans l’image. Ce n’est pas une dégradation, au contraire ! C’est plutôt un
334 54.
335 Aimé Césaire, « Lettre à Lilyan Kesteloot », Aimé Césaire, par Lilyan Kesteloot (Paris : Editions Pierre
Seghers, 1962) 182.