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Dans le discours esthétique baudelairien, !’imagination représente en effet la
capacité humaine la plus valorisée puisque c’est grâce à elle que l’esprit découvre la
charge poétique et les correspondances entre les éléments du monde. Le poète lie
étroitement le symbolisme de sa vision esthétique à la capacité à imaginer, déclarant que
«l’imagination [...] perçoit tout d’abord, en dehors des méthodes philosophiques, les
rapports intimes et secrets des choses, les correspondances et les analogies ».359
Finalement, c’est grâce à l’imagination que la transfiguration esthétique se produit : cette
habilité permet de dépasser la perception commune du monde, qu’elle soit rationnelle ou
consciente, pour faire naître une vision basée sur l’analogie, et en particulier sur les
rapports cachés entre les choses. Le poème « Une Charogne » illustre bien les pouvoirs
transfigurants de l’imagination mise au service du poète. Suivant la démarche de
l’esthétique de l’horreur, le poète perçoit de manière sublime une carcasse en
décomposition sur le bord d’un chemin. La charogne se fait « superbe » et sensuelle,
« [l]es jambes en l’air, comme une femme lubrique ».360 En fait, ce qui entoure le poète
ne doit être qu’un terrain de jeu pour l’exercice de l’imagination poétique: «tout
l’univers visible n’est qu’un magasin d’images et de signes auxquels l’imagination
donnera une place et une valeur relatives ; c’est une espèce de pâture que l’imagination
doit digérer et transformer ».361
L’état nostalgique est aussi pour Baudelaire un tremplin dans le développement
d’une perception par transfiguration esthétique. Tout comme l’imagination, il est
358 61.
359 Notes nouvelles sur Edgar Poe 329.
360 Charles Baudelaire, « Une Charogne », Les Fleurs du mal 31, v.13 ; v.5.
361 Salon de 1859 627.