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aux mains d’arches d’éprouvettes
futile éclipse de l’espace547
La démarche de transgression linguistique dont témoigne Césaire possède bien un
enjeu sociopolitique : la langue, symbole d’une oppression et d’une domination vécue,
devient de ce fait maîtrisée et pliée à l’inspiration du poète. Il s’agit de détourner, de
« défranciser », dit Sartre548, les structures, les règles et les usages franco-français du
langage. Césaire affirme en effet son désir de contrôle, bien significatif, de cette langue
véhiculant tant d’idées et d’images fausses et néfastes au peuple noir. Dans cette optique,
il rend hommage à Rimbaud qui cherche dans sa poésie à briser le joug de l’habitude
linguistique. Déclarant, à l’instar du poète symboliste, faire la révolution des mots549,
Césaire explique : «j’essaie, j’ai toujours voulu infléchir le français. Ainsi, si j’ai
beaucoup aimé Mallarmé, c’est parce qu’il m’a montré, parce que j’ai compris à travers
lui, que la langue, au fond, est arbitraire. »550 Le Cahier d’un retour au pays natal
exprime bien ce désir d’appropriation et de destruction de la langue établie, celle du
colonisateur, et par là même de l’ordre de valeurs imposé par celui-ci. Le poète proclame
par exemple la mainmise du peuple de la caraïbe française sur la langue occidentale,
contrôle qui passe ici par l’usage d’un lexique local, généralement rejeté de la littérature
canonique française :
547 Aimé Césaire, « Interlude », Soleil cou coupé 237.
548 « Orphée noir » xx. Dans son article « Présence noire » (1947), Sartre s’exprime en effet plus clairement
sur ce point. A cette époque, les écrivains africains font l’usage de la langue française non pas dans le but
de détruire cet outil imposé mais plutôt de le remodeler selon leurs besoins : « il faut qu’ils retaillent ce
vêtement tout fait ; tout les gêne et les engonce, jusqu’à la syntaxe, et pourtant ils ont appris à utiliser
jusqu’aux insuffisances de cet outil. » Les Ecrits de Sartre, ed. Michel Contat et Michel Rybalka (Paris :
Gallimard, 1970) 686.
549 Cité par Leiner, vol. 1 120.
550 Cité par Leiner, vol. 1 119.