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Ainsi à l’époque de l’écriture du poème, certains usent facilement, et probablement sans
totalement en concevoir l’impact sociopolitique, de remarques telles que : « voyez-vous-
ce-petit-sauvage-qui-ne-sait-pas-un-mot-des-dix-commandements-de-Dieu » ou bien
encore « l’odeur-du-nègre, ça-fait-pousser-la-canne ».546
De plus, la contestation d’une structure linguistique — et sociale — figée passe
aussi par l’usage d’un outil de création tel que l’écriture automatique. Si Césaire ne
semble pas utiliser cette technique de manière systématique, ses textes sont néanmoins
empreints d’une volonté de laisser flotter l’imagination et l’inspiration sans barrière
grammaticale ni sémantique. Cette démarche illustre le désir du poète de souligner
l’arbitraire de la langue et, par extension, de tout jugement et perception préconçus. Dans
le poème « Interlude », et comme son titre l’indique, le poète semble faire une pause dans
son travail poétique plus polémique et agressif pour laisser son esprit vagabonder au
hasard des images et des mots. La syntaxe vole en éclat avec l’absence de ponctuation, le
manque de verbes et d’articles ainsi que l’accumulation de compléments du nom :
Bond vague de l’once sans garrot
au zénith
poussière de lait
un midi est avec moi
glissé très rare de tes haras
d’ombres cuites et
très rares entrelacs des doigts
O soleil déchiré
aveugle paon magique et frais
546 Cahier 44 ; 60.