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voie vers un savoir détrônant ceux qui semblaient auparavant si sûrs. Constatant que
«dans les temps modernes, ce n’est qu’au XIXe siècle [...] que les poètes ont osé
prétendre qu’ils savaient »536, il affirme que l’élan poétique moderne cherche à mettre en
avant une nouvelle et supérieure conception du monde ; les créateurs, devenus des
découvreurs, s’exclament alors : « Je fonderai un nouveau ciel et une nouvelle terre si
bien qu’on ne pensera plus à ce qui était avant ».537
De plus, et dans le contexte de la recherche identitaire du peuple martiniquais, le
pouvoir contestataire des visions poétiques réside dans leur capacité à permettre une
certaine révolte intérieure, une certaine prise d’individualité.538 Par la faculté de
l’imagination en effet, le peuple négro-africain développe des perceptions personnelles de
lui-même et du monde, conceptions qui s’opposent bien évidemment à la vision
occidentale dominante ; cette subversion, finalement, permet à ce peuple de concevoir
une existence future plus épanouie et satisfaisante :
Grâce à l’imagination, il y aura toujours en l’homme, même vaincu, même
désarmé, un lieu clos où accueillir dans un retentissement inépuisable et
fécond, la parole qui délivre, la parole qui guérit, la parole qui fait que
parfois les morts sortent de leurs tombes, que des peuples brisent les fers
de l’esclavage et que des races maudites lèvent subitement un front pur et
vainqueur [...].539
536 « Poésie et connaissance » 159.
537 Aimé Césaire, « Maintenir la poésie », Tropiques 8-9 (1943) : 8.
538 Césaire reconnaît par ailleurs, en accord avec Ménil, que la production littéraire à veine poétique ou
merveilleuse est de même une « revanche sur la réalité » (« Introduction au folklore martiniquais » 8).
539 « Discours des prix de 1945, Pensionnat colonial » 575.