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esthétique et qui, au contraire de la pensée dominante, apparaît plus satisfaisante.
L’écriture automatique présente dans « Inventaire », par exemple, suggère en effet la
possibilité d’une attitude et d’un système de valeur nouveaux. A travers une perception
esthétique et imaginaire, l’homme peut apprécier ce qu’offre la vie comme l’amour,
l’harmonie avec le cosmos, la joie des enfants ou la beauté de la nature. Les vers
succédant respectivement à ceux au sujet de la colonisation, de l’écolier et du juge
d’instruction illustrent cette vision à l’oppose à la perception dominante : il s’agit d’« un
cheval entier », d’« un petit garçon qui sort de l’école en riant » et d’un « paysage avec
beaucoup d’herbe verte dedans ».526 Dans ce contexte conclut Bataille : « au bénéfice de
la confusion résultant du ravalement d’‘Inventaire’ ‘apparaissent’ une pierre des fleurs,
un pain, un rayon de soleil... »527
Chez Prévert enfin, l’esthétique de l’horreur est aussi une technique de création
primordiale pour Subvertir voire inverser les valeurs esthétiques, philosophiques et
sociales. Parlant des œuvres prévertiennes, Gasiglia-Laster explique plus
particulièrement ce renversement de valeur : « la noblesse trouve un autre sens, elle n’est
plus héréditaire, et on la rencontre en particulier au plus bas de l’échelle sociale ».528
Dans une ébauche de Hebdromadaires, par exemple, le poète chante en effet la beauté et
la dignité des balayeurs des rues, qualités qu’il institue comme supérieures à celles de
nombreux intellectuels dont le savoir encyclopédique leur inspire malheureusement plus
de respect : « avec leur balai, si on regarde bien, ils sont très beaux, beaucoup plus beaux
dans leur comportement, beaucoup plus dignes [...] que nombre de grands cerveaux,
526 v.17 ; v.33 ; v.46 ; v.50.
527 « De l’Age de pierre à Jacques Prévert » 213.
528 introduction xvii.