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[...] nous sommes des
marmonneurs de mots
des mots, ah oui, des mots ! mais
des mots de sang frais, des mots qui sont
des raz-de marée et des érésipèles
des paludismes et des laves et des feux
de brousse, et des flambées de chair,
et des flambées de villes...551
A terme donc, la dénonciation du discours stéréotypé et raciste ouvre sur
l’instauration d’une nouvelle épistémè inspirée de la tradition et de l’expérience négro-
africaines, avec ses thèmes, son vocabulaire et son mode de pensée. Par exemple,
l’esthétique de l’horreur, du rejeté et du commun, qui brise les hiérarchies traditionnelles
de valeur, permet à Césaire de réévaluer la place des éléments négro-africains dans la
littérature comme dans la société. Ainsi, la culture noire esthétisée dans la perception et
la poésie césairiennes ne peut désormais plus être ignorée ni dénigrée. Le poète rend par
exemple hommage à la beauté et à la valeur des éléments tropicaux et sauvages dans le
Cahier. Ces composants deviennent ici d’une importance, d’une force et d’une beauté
capitales :
Mais quel étrange orgueil tout soudain m’illumine ?
vienne le colibri
vienne l’épervier
vienne les bris de l’horizon
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Cahier 58.