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permettait de réinstaurer un ordre cosmique et un contentement existentiel, tout en
critiquant le mode épistémologique en place qui ne le permet pas ; je dévoilerai ici que,
finalement, la transfiguration esthétique possède un pouvoir limité quant à l’instauration
d’un bien-être humain à grande échelle et à long terme, étant incapable de renverser
concrètement le mode épistémologique dominant et d’améliorer les réalités sociales pour
les plus défavorisés. Je conclurai que, malgré l’admiration que lui vouent les trois
auteurs, cette vision se limite donc à être, au pire, une consolation aux malheurs sociaux
et métaphysiques, au mieux, un formidable tremplin psychologique vers une action et un
engagement plus concrets.
1. La question de l’accessibilité au poétique
Dans la poétique baudelairienne, l’expérience d’une perception esthétisante est
d’abord limitée dans le sens où elle n’est entièrement accessible qu’aux poètes. C’est
d’ailleurs pour Baudelaire la définition même de l’artiste, un être capable de dévoiler la
beauté de toute chose : « un artiste n’est un artiste que grâce à son sens exquis du Beau »,
statue-t-il.554 Le poème « Une Charogne » illustre bien le caractère hors du commun du
don de perception poétique : si le poète, par sa perception hypersensible, peut s’extasier
devant la beauté d’une carcasse, sa compagne, au comble du dégoût et au bord de
!’évanouissement, est incapable de tirer un quelconque plaisir esthétique de ces restes en
décomposition. La voix poétique indique les deux points de vue ainsi : « Et le ciel
regardait la carcasse superbe / Comme une fleur s’épanouir. / La puanteur était si forte,
554 Notes nouvelles sur Edgar Poe 330.