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que sur l’herbe / Vous crûtes vous évanouir. »555 Le poème intitulé bien à propos
« Bénédiction » souligne aussi la nature élue et en quelque sorte inhumaine du don
esthétique puisque le poète naît « par un décret des puissances suprêmes » et grandit
« [...] sous la tutelle invisible d’un Ange ».556
Outre le poète, il semble qu’un autre personnage, l’enfant, soit à même d’accéder
à une transfiguration perceptive. Pour Baudelaire, ces jeunes êtres ont en effet le pouvoir
de rester en contact direct avec le monde, usant leur imagination pour percevoir l’envers
des choses et y trouver ainsi un sens profond et satisfaisant. Ainsi le poète parle-il
précisément de la faculté de l’enfant à trouver intérêt et valeur dans toutes choses, au-
delà de l’apparence et des conventions. Ainsi dans « Le Voyage », la voix poétique relate
l’angoisse et l’insatisfaction qui domine l’humanité à tout jamais, tandis qu’il rend un
hommage envieux à la figure de l’enfant, personnage capable par son imagination sans
limites d’atteindre un contentement et une joie de vivre. S’exclamant avec une pointe de
jalousie, « Ô cerveaux enfantins ! »557, il fait remarquer que le jeune esprit perçoit le
monde comme un espace infini de découvertes et d’excitation : « Pour l’enfant, amoureux
de cartes et d’estampes, / L’univers est égal à son vaste appétit. / Ah ! que le monde est
grand à la clarté des lampes ! »558 De même dans « J’aime le souvenir de ces époques
nues », le poète relève les pouvoirs perceptifs de l’enfant. Dans cette époque
contemporaine où !’Utile a remplacé l’esthétique, il honore la période de l’enfance, seule
557 v.85.
558 v.1-3.