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En ce qui concerne les adultes, les textes de Baudelaire dépeignent des
personnages qui semblent de prime abord détenir la même capacité perceptive que le
poète. Dans « Le Vin des chiffonniers », par exemple, le chiffonnier est décrit comme
une figure capable de transfigurer la réalité pour en présenter une vision inédite, vision
qui apporte un certain bonheur de vivre. Ici, les marginaux urbains, les chiffonniers en
tête, changent « [...] un vieux faubourg, labyrinthe fangeux / Où l’humanité grouille en
ferments orageux » en un espace de joie et de célébration avec « Des clairons, du soleil,
des cris et du tambour ».563 L’alcool semble à même ici de rendre n’importe qui poète ;
Baudelaire remarque à ce propos dans Les Paradis artificiels que le vin a pour effet « le
développement poétique excessif de l’homme ».564 Dans « Le Vin des chiffonniers », le
pauvre et le poète sont même comparés dans leur manière d’errer dans les rues en laissant
vagabonder leur imagination : « On voit un chiffonnier qui vient, hochant la tête, /
Butant, et se cognant aux murs comme un poète [et qui], / [...] / Epanche tout son cœur
en glorieux projets ».565 En se rapportant au poème « Le Soleil » comme le suggère
Pichois566, Iajuxtaposition des deux figures devient claire puisque le poète est décrit dans
ce dernier texte comme « Flairant dans tous les coins les hasards de la rime, / Trébuchant
sur les mots comme sur les pavés, / Heurtant parfois des vers depuis longtemps
rêvés ».567 Par conséquent ici, le comportement des deux hommes est identique dans leur
manière d’imaginer, ou plus particulièrement de transfigurer esthétiquement le monde,
v.3-4 ; v.23.
564
565
566
567
397.
v.5-8.
Pichois, notices 1052.
v.6-8.