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par le biais de moyens artificiels, est donc bien finalement réservée au poète dans un état
d’inspiration et de concentration.578 Baudelaire aura néanmoins recours à des drogues au
cours de sa vie artistique, de peur du blocage sans doute579 puisque, comme le remarque
Pichois au sujet de l’artiste, « les excitants sont dangereux au créateur, si ce créateur
trouve déjà sa drogue dans l’exercice de l’imagination créatrice. Mais ils sont
nécessaires, lorsque la vitalité est défaillante, l’intensité, insuffisante ».580
Prévert, quant à lui, ne limite évidemment pas l’expérience d’une perception
esthétique à la caste des poètes. Au contraire, il attaque l’attitude supérieure et imbue
que prennent certains littérateurs concernant leurs dons artistiques. Le poète met en
garde par exemple : « Si cordonnier pas plus haut que la chaussure, astronome pas plus
loin que la lorgnette et écrivain pas plus haut que la littérature ! »581 En fait, Prévert
critique même directement le discours que tient Baudelaire au sujet de la supériorité
perceptive du poète en se moquant de la métaphore de Г albatros-poète. Dans Les Fleurs
du mal, l’oiseau représente l’artiste qui, seul capable de s’élever au-delà de la sphère des
apparences terrestres, se sent prisonnier d’une société sans imagination où « ses ailes de
géant l’empêchent de marcher ».582 Dans « Tentative de description d’un dîner de tête »,
578 Les Paradis artificiels 441.
579
« La Mort des artistes » (Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal 127) montre que ce sujet préoccupe le
poète. Dans ce texte, il décrit en effet la douleur de ceux en manque d’inspiration, ceux « qui jamais n’ont
connu leur Idole » (v.9), et reconnaît la fatalité de cette stérilité artistique. Ces artistes n’ont alors d’espoir
que dans la mort, le seul moyen de faire « s’épanouir les fleurs de leur cerveau » (v. 14).
580 notices 1365.
581
« Intermède » 376.