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moyens d’évasion ; il affirme alors que pour Baudelaire, « la seule vraie drogue, la
drogue absolue, est la Poésie ».629
Considérant uniquement l’évasion, c’est-à-dire en quelque sorte la fuite, comme
comportement à adopter, Baudelaire n’envisage finalement aucune action humaine
possible, et de surcroît, aucun changement dans l’ordre du monde actuel. Malgré sa
vision et ses outils de perception subversifs, les élans contestataires du poète sont sans
objets ni effets. Sartre décrit la démarche baudelairienne ainsi : « il s’agit de révolte, non
d’un acte révolutionnaire. Le révolutionnaire veut changer le monde, il le dépasse vers
l’avenir, vers un ordre de valeurs qu’il invente ; le révolté a soin de maintenir intacts les
abus dont il souffre pour pouvoir se révolter contre eux. »630 Ce dernier commentaire
renforce l’idée du statut pré-moderne de la réflexion baudelairienne : tout en se dressant
contre des valeurs qui lui semblent obsolètes et qu’il sait vaines, Baudelaire reste
incapable de se construire une nouvelle voie et d’autres normes d’existence. La
transfiguration esthétique est, à terme, un pis-aller au malaise humain et social.
Dans son œuvre La Naissance de la tragédie, Friedrich Nietzsche parle aussi
longuement des effets de la tragédie, et de l’art en général, sur l’angoisse et
l’insatisfaction existentielles. La pensée du philosophe se rapproche de celle de
Baudelaire au sujet du pouvoir transformatif et apaisant de l’art. Nietzsche remarque tout
d’abord la prise de conscience de l’humanité face à sa condition sociale et humaine
problématique ; ainsi faisant, « l’homme ne voit plus désormais partout que l’horreur et
629 notices 1358.
630 Baudelaire 58.