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d’être vaincu », conclut-il.620 Ainsi, si le poète présente d’abord sa vision transfigurante
comme un moyen de contrôler l’univers qui l’entoure et d’apaiser ainsi son angoisse
existentielle, il se doit finalement de constater l’impossibilité de tout maîtriser et dominer
par l’acte d’esthétisation.
En conséquence la vision poétique, comme le vin ou la mort, n’est qu’une illusion
à la puissance humaine face à sa destinée. « La Chambre double » illustre bien la
manière dont l’imagination n’est qu’un bonheur temporaire, toujours rattrapé par les
réalités sordides de l’existence humaine et sociale. Ainsi, alors que le poète se fait bercer
par la « béatitude »621 extrême dans « [u]ne chambre qui ressemble à une rêverie, une
chambre véritablement spirituelle »622, le bruit de quelqu’un qui frappe à la porte le tire
de son extase pour lui rappeler que « Horreur ![...] ce taudis, ce séjour de l’éternel ennui,
est bien le mien. »623 Le poème « Hymne à la beauté » insiste en particulier sur la nature
illusoire du pouvoir du beau. Les effets de la vision esthétique y sont présentés comme
positifs mais chimériques, rapprochant cette perception de l’ivresse éthylique — comme
décrite par exemple dans « Le Vin des chiffonniers ». Ici, les baisers de la beauté « font
le héros lâche et les enfants courageux »624 et cet idéal magique enivre autant qu’une
boisson alcoolisée puisque c’est « un philtre » ou un élixir venant d’« une amphore ».625
620 « Le Confiteor de l’artiste » 279.
621 280.
622 281.
623 281.
624 Charles Baudelaire, « Hymne à la beauté », Les Fleurs du mal 24, v.8.
625 v.7.