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l’absurdité de l’être ».631 Dans ce contexte, Nietzsche reconnaît le pouvoir de l’art qui
survient,
tel un magicien qui sauve et qui guérit. Car lui seul est à même de plier ce
dégoût pour l’horreur et l’absurdité de l’existence à se transformer en
représentations capables de rendre la vie possible : je veux parler du
sublime, où l’art dompte et maîtrise l’horreur, et du comique, où l’art
permet au dégoût de l’absurde de se décharger.632
De même, lorsque Nietzsche définit l’effet du genre tragique comme « une consolation
métaphysique » au malaise de l’existence633, il se fait aussi pessimiste et fataliste que
Baudelaire à propos du néant qui pèse sur l’humanité ou des conditions de vie des
défavorisés sociaux. Ici aussi, il ne s’agit pas d’engager la volonté humaine vers un
changement social mais d’offrir un réconfort passif qui « ne vise rien d’autre qu’à faire
accepter l’incontournable réalité de la succession des générations ainsi que la nécessité de
la hiérarchisation de la société », remarquent les commentateurs Michèle Cohen-Halimi
et Max Marcuzzi.634 En effet, et comme Baudelaire, si Nietzsche considère les structures
étatiques et sociales en place comme néfastes à l’humanité, il reste réaliste face à
l’immuabilité de ce système. Ainsi, alors que le philosophe affirme que « l’Etat et la
société [...] sépare[nt] l’homme de l’homme»635, Cohen-Halimi et Marcuzzi précisent
631 Friedrich Nietzsche, La Naissance de la tragédie, 1872, trad. Lacoue-Labarthe, Œuvres, ed. Marc de
Launay, vol. 1 (Paris : Gallimard, 2000) 46.
632 46.
633 45.
634 Danièle Cohen-Halimi et Max Marcuzzi, notices et notes, Œuvres, par Friedrich Nietzsche, vol. 1 vol. 1
(Paris : Gallimard, 2000) 886.
635 Nietzsche 45.