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conçoit que par la maîtrise des outils du pouvoir intellectuel, économique, religieux,
politique et militaire, c’est-à-dire par la conformité aux normes et au modèle de vie
dominants, et s’oppose alors à la conception du poète ; ainsi argue le philosophe :
[L’ouvrier,] opprimé par la technique, [...] se veut technicien parce qu’il
sait que la technique sera l’instrument de sa libération ; s’il doit pouvoir
un jour contrôler la gestion des entreprises, il sait qu’il y parviendra
seulement par un savoir professionnel, économique et politique.641
La démarche de révolte que met en scène Prévert dans « Le Paysage changeur »
se présente dans les textes du poète par l’idée d’une rupture, d’un bouleversement,
comme c’est le cas dans le poème « Le Miroir brisé ». Ici, briser la vitre, c’est dépasser
une perception commune et descriptive des choses, ce qui ouvre sur la possibilité d’une
vision transfigurante — d’«un vrai paysage» dit le poète dans «Le Paysage
changeur ».642 Ainsi faisant, une meilleure expérience de vie attend l’individu,
expérience marquée ici par le retour d’un être cher. Le poème « Et ce qu’il voit est si
beau... », tiré de Grand bal de printemps, illustre le mieux ce processus. Ici, « le cliché
du malheur »643 disparaît pour le protagoniste lorsque « la vitre n’est même pas fêlée »
mais « simplement brisée » ;644 à cet instant, il accède aux véritables beautés et vérités du
monde :
Et ce qu’il voit est si beau
et ce qu’il sait est si vrai
642
643
644
« Orphée noir » xii.
v.84.
Jacques Prévert, « Et ce qu’il voit est si beau... », 1951, Œuvres complètes, vol. 1 463, v.14.
v.6 ; v.7.