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l’empêchent de jouir de la vie, le poète n’en appelle cependant pas à un changement de sa
condition. Il ne fait tout au plus que de montrer l’absurdité d’un tel système par cette
question ironique au soleil : « tu ne trouves pas / que c’est plutôt con / de donner une
journée pareille / à un patron ? »651 « L’Effort humain » souligne de même cette
résignation. Le poète s’y désole que la classe défavorisée livre un combat perdu
d’avance pour l’amélioration de ses conditions de vie parce que la lutte se fait « contre un
monde absurde et sans lois »652 ; les ouvriers n’ont pas d’espoir de condition meilleure
« dans un univers hostile / poussiéreux et bas de plafond », « un monde désemparé ».653
La profondeur du désespoir, ainsi que le sentiment d’impuissance et d’enfermement, qui
se dégage de ces derniers vers, rappellent d’ailleurs le discours passif et pessimiste
concernant !’Ennui qui ronge l’âme baudelairienne dans « Spleen IV » :
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Quand la terre est changée en cachot humide,
Où !’Espérance, comme une chauve-souris,
S’en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris654
Même dans un poème plus revendicateur comme « Le Paysage changeur »,
l’aspiration de Prévert semble moins portée sur un désir de bouleversement social qu’une
651 Jacques Prévert, « Le Temps perdu », Paroles 146, v. 11-14.
652 v. 19.
653 v.39-40 ; v.49.
654 Charles Baudelaire, « Spleen. Quand le ciel bas et lourds... », Les Fleurs du mal 74-75, v.1-2 ; v.5-8.