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bouleversements sociaux importants et à long terme. Bataille, qui reconnaît cette
caractéristique de la pensée prévertienne, la résume ainsi : « [l]a liberté n’est rien si elle
n’est celle de disposer pleinement de l’instant présent (suis-je libre, ayant quelque chose
à faire c? Je suis libre en vivant actuellement, pour un maintenant, non plus pour un plus
tard. »659 L’ouvrier du « Temps perdu », par exemple, apprécie au plus haut point la
douceur présente du soleil sans exprimer d’intention de vouloir prolonger cette extase : il
cherche uniquement à en profiter tout de suite et se désole seulement de ne pas pouvoir le
faire à sa guise.
Cette idée de liberté absolue par l’appréciation de l’instant et des émotions
immédiates est récurrente dans l’œuvre du poète, en particulier dans le rapport que
Prévert entretient avec l’amour. Comme le remarque Wilhelm au sujet des textes
prévertiens, « [c],est à propos de l’amour que le refus du temps se révèle avec le plus de
force. L’amour — purement physique — ne génère pas [...] de souvenirs ni de projets
d’avenir, mais des sensations, des jouissances.»660 Dans le poème «Alicante», par
exemple, le poète insiste sur les sentiments que l’amour lui procure à l’instant donné :
bien que le corps de l’amante est la «Chaleur de [s]a vie », il valorise uniquement le
plaisir du « Doux présent du présent »661, sans promesse d’avenir pour cette relation. Un
autre texte, « Je suis comme je suis », chante la liberté jouissive d’une jeune femme qui
aime passionnément mais de manière inconstante. Elle affirme simplement: «J’aime
celui qui m’aime / Est-ce ma faute à moi / Si ce n’est pas le même / Que j’aime à chaque
659 « De l’âge de pierre à Jacques Prévert » 201.
660 1 91
661
v.5 ; v.4.