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changer le monde rappelle la perception de Nietzsche sur le même sujet. Dans le cas de
la tragédie, par exemple, le philosophe affirme qu’il ne s’agit pas de bouleverser la
société mais plutôt de « rendre la vie possible »666 au sein de la structure étatique et
sociale en place. Cette idée de « faire avec » est en effet bien appropriée pour définir le
but de la vision esthétique pour Prévert, particulièrement à l’égard des plus défavorisés.
Cependant, il me semble que le fatalisme de Prévert se fasse finalement plus joyeux et
actif que celui de Nietzsche, et de Baudelaire de surcroît : l’esthétique et l’activité
artistique ne constituent ici ni une consolation ni un masque face au mal-être humain,
mais bien un mode d’action et une méthode de vie efficace pour atteindre une satisfaction
de vivre dans une société immuablement défavorable.
Comme j’ai l’ai fait remarquer tout au long de mon étude, les textes de Césaire
mettent bien en valeur les pouvoirs d’une perception esthétique. Les effets de cette
vision chez le poète s’apparentent plutôt à ceux décrits par Pré vert dans le sens où cette
perception constitue ici un moyen de mieux vivre dans le monde. En effet, la démarche
transfigurante conduit bien ici à une vie meilleure et s’oppose naturellement à la
dynamique qui domine l’humanité actuelle — qui est de facto néfaste à l’homme. En
d’autres termes, la perception sensorielle et imaginaire que privilégie Césaire sauverait
d’un certain mode de pensée occidental imposé à tous, mais nuisible et inhumain. En
effet d’un côté, le modèle dominant, valorisant et imposant une culture unique, représente
un véritable danger d’après Césaire : pour lui, « l’humanité réduite au monologue »,
c’est-à-dire à la domination de la culture blanche, conduit à la barbarie et à la ruine de
666 λ Q