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l’humanité entière, y compris à « la perte de l’Europe ».667 D’un autre côté, l’adoption
d’un regard esthétique et imaginatif sur le monde permet de revitaliser et de réhumaniser
cette humanité aux prises avec des structures mentales et sociales basées sur la raison et
l’utilité. Césaire trace bien l’opposition entre les deux modes d’appréhension du monde
lorsqu’il tisse un lien entre besoin de poésie et domination du discours occidental ; il
déclare en effet : « C’est [...] cette invasion du monde et de l’homme par les choses, c’est
ce processus de réification du monde, installé par la culture européenne dans la société
qui explique que le besoin d’art et de poésie soit aujourd’hui un besoin véritablement
vital [...] ».668 En conséquence, le retour de l’homme vers une conception plus sensible
du monde se fait pour le bien de tous : « ce que je veux, c’est pour la faim universelle /
pour la soif universelle », conclut le poète après sa révolte du Cahier.669
A l’instar de Prévert, c’est une action humaine que préconise Césaire afin, pour
utiliser la métaphore prévertienne, de briser le miroir : il faut aller au-delà des apparences
que présente la raison comme des vérités uniques et évidentes pour atteindre une
connaissance autre du monde. A l’époque de l’écriture du Cahier et de la quête
césairienne pour redonner fierté et dignité à son peuple, cette recommandation de Césaire
prend un poids particulier : il s’agit la tendance qu’a la population Martiniquaise, comme
tous les peuples ex-colonisés d’ailleurs, de se percevoir et de se juger selon les jugements
de valeur imposés par le monde occidental depuis Père coloniale.670 Le poète précise par
exemple qu’encore dans les années 1940, seulement quelques années après la publication
667 Discours sur le colonialisme 398.
668 « Discours sur l’art africain » 101.
669 69.
670 Cité par Leiner, vol. 1 26.