210
dans leurs notices que le penseur « ne conteste ni la réalité ni la nécessité de l’Etat ».636
Léopold Flam reconnaît de même le discours de statu quo que défend le philosophe et en
explique les raisons. Il constate en effet que l’humanité subit une crise profonde,
accentuée au XIXe siècle637 par la révolution industrielle et la montée du capitalisme, et
affirme :
Nietzsche ne propose aucun ‘ordre nouveau politique’, aucune société
nouvelle, car il sait que toute réforme sociale et politique laissera intacte le
problème fondamental : la maîtrise par l’homme d’un monde technique
qu’il a créé, qui lui échappe et le condamne ainsi à la fuite dans un monde
uniquement imaginaire, condamnant ou refusant la réalité incohérente
dans laquelle il se trouve.638
Cette réflexion sur le monde moderne, dominé par la technique, se retrouve chez
Baudelaire qui critique bien le manque de spiritualité et de cœur d’une société
contemporaine rongée par l’utilitarisme, le calcul et l’égoïsme.639 Pour Nietzsche d’après
Flam, il ne reste qu’une seule solution à ceux en proie à cette crise : la fuite dans
l’illusion, comme l’ivresse poétique que propose Baudelaire.
Pré vert, lui, attribue bien des pouvoirs libérateurs à la transfiguration esthétique.
La voie même vers une vie véritablement satisfaisante et harmonieuse, et la seule
636 8 86.
637 Léopold Flam, « Nietzsche, penseur de l’ère post-chrétienne », Revue de l’Université de Bruxelles 15.4
(1963) : 275.
638 2 75.
639 Dans le Fusées, le poète prédit la perte de l’humanité par « l’avilissement des cœurs » (666).