207
Au terme de sa désillusion artistique, le poète préconise tout de même de toujours
porter le masque de l’évasion par l’usage d’un moyen enivrant :
Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas
sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche
vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-
626
vous. »
Le dernier poème des Fleurs du mal, « Le Voyage », illustre la pensée finale de
Baudelaire concernant toute possibilité de répondre à l’angoisse existentielle et aux
malheurs humains. Après une quête infructueuse de maîtrise du cosmos et d’éternité de
l’existence, le poète se tourne finalement vers l’évasion dans un ailleurs psychologique
ou physique.627
Malgré cet échec, Baudelaire réitère sa confiance envers les pouvoirs supérieurs
de l’imagination comme source d’illusion. Dans « Une Mort héroïque », le narrateur
remarque ainsi que « l’ivresse de Г Art est plus apte que toute autre à voiler les terreurs du
gouffre ; [...] le génie peut jouer la comédie au bord de la tombe avec une joie qui
l’empêche de voir la tombe, perdu, comme il est, dans un paradis excluant toute idée de
tombe et de destruction. »628 Pichois insiste aussi sur cette idée, constatant d’une part le
pouvoir illusoire de l’activité poétique, et d’autre part sa supériorité face aux autres
626 Charles Baudelaire, « Enivrez-vous », Petits poèmes en prose 337.
627 v. 144
628 Charles Baudelaire, « Une Mort héroïque », Petits Poèmes en prose 321.