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fait un dais » et qu’« ils ont bu jusqu’à l’horreur féroce ».680 Plus que de suggérer à ces
marginaux d’adopter une perception qui leur permette de se satisfaire de leur existence
présente — comme le fait la voix poétique du « Paysage Changeur » de Prévert —, le
poète préconise ici à l’humanité entière le recours à cette vision afin d’instaurer et
d’imposer sur terre des principes de fraternité et de liberté. Ce moment sera, déclare le
poète, « l’année où les germes de l’homme se choisi[ss]ent dans l’homme le tendre pas
d’un cœur nouveau ».681 C’est aussi le cri final du Cahier dans lequel le poète recherche
le dépassement des discours raciaux pour l’avènement d’une « race unique ».682
La vision esthétique contribue grandement à concevoir cet avenir pour le poète
antillais puisqu’il considère que la poésie détient une valeur prophétique.683 Le Cahier,
par exemple, se présente comme une promesse pleine d’espérance, tandis que le poète se
pose en guide annonciateur d’un avenir meilleur. Décrivant Fort-de-France comme un
lieu sinistre et inerte au début de son texte, le poète prédit l’embellissement de la ville au
terme de sa vision, « ville que je prophétise, belle », proclame-t-il alors.684 Prophète et
guide, il veut le devenir, implorant aux forces cosmiques : « [f] ai tes de ma tête une tête
de proue », puis plus tard « faites de moi un homme d’initiation ».685 Finalement, il se
fait l’instigateur d’une fraternité sans limites et d’une union universelle entre les peuples,
680 240.
681 Cité par Kesteloot et Kotchy 33. Ce vers ne figure pas dans l’édition des Œuvres complètes de Césaire
que j’utilise.
682 69.
683 Cité par Leiner, vol. 1 123.
684 68.
685 Cahier 68.