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Chapitre II
De la perception transfigurante du quotidien
Mais en y regardant mieux, [le poète] y distingue des
boursouflures, des décollements, des sens adventices,
toute une dimension secrète et inutile, faite de son
histoire et des maladresses de ceux qui en ont usé.
N’y a-t-il pas dans cette profondeur ignorée les
éléments d’un rajeunissement des termes ?254
Comme je l’ai suggéré dans le chapitre précédent, l’idée de transfiguration
esthétique présente dans les œuvres de Baudelaire, Prévert et Césaire se base sur le
dépassement d’une perspective ordinaire et rationnelle du monde pour en atteindre une
vision autre, esthétique. Comme c’est le cas dans la doctrine surréaliste, il s’agit de
« déshabiller les choses de leurs significations pratiques ».255 Merleau-Ponty remarque
bien cette mécanique inédite qui caractérise la perception moderne, perception qui libère
d’une conception ordinaire et rationnelle des choses : « [c],est un nouveau système
d’équivalences qui exige précisément ce bouleversement-ci, [...] le[s] liens ordinaires
[entre les choses] sont dénoués ».256 Cette idée d’équivalence entre les éléments du
monde est centrale dans la vision poétique que développent les trois poètes. Bien sûr,
elle est au cœur de la conception symboliste dont Baudelaire est le précurseur257 et qui est
mise en scène en particulier dans un poème comme « Correspondances ». La dynamique
décrite par Merleau-Ponty se retrouve au XXe siècle, notamment dans le discours
surréaliste, mouvement qui s’inspire du symbolisme et est proche de l’esthétique de
254 Jean-Paul Sartre, « L’Homme et les choses », 1947, Critiques littéraires (Paris : Gallimard, 1975) 306.
255 Sartre, « L’Homme et les choses » 312.
256 71.
257 Baudelaire est bien l’instigateur de la conception voyante si chers aux symbolistes comme l’indique
Arthur Rimbaud en le consacrant « le premier des voyants, roi des poètes, un vrai dieu » (253).