94
moment où la vie, dans l’émotion ressentie, opère une véritable saisie de
l’homme pour le jeter, à son corps défendant, en dehors des conditions
habituelles et communes de la vie, dans des régions inconnues, plus
profondes de la réalité.261
L’usage d’états proches de l’irrationnel comme le rêve ou la nostalgie pour atteindre une
certaine perception du monde est en effet récurrent et commun dans l’art symboliste et les
courants artistiques qui s’en inspirent, et en particulier le surréalisme. Breton définit en
effet le mouvement surréaliste comme une doctrine qui « repose sur la croyance à la
réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute
puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée ».262 Baudelaire, en tant que
symboliste avant la lettre, ainsi que Prévert et Césaire, tous deux familiers des techniques
surréalistes, insistent bien sur les pouvoirs et la valeur d’états allant au-delà du conscient
comme l’imagination, le souvenir et l’onirique dans l’accès à une perception sensorielle
du monde. C’est ce que j’étudierai dans la seconde partie de ce chapitre.
1. Une poétique du dévalué
En rupture avec la conception dominante de pensée et d’appréhension du monde,
Baudelaire développe une perception qui cherche à aller au-delà des descriptions
rationnelles et utilitaires. Celle-ci se construit en effet à partir de l’idée que « quelque
chose se trouve au-delà des apparences, quelque chose de confus et de ténébreux ».263
261 René Ménil, « Introduction au merveilleux », Tropiques 3 (1941) : 12.
262 Manifestes du surréalisme 328.