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C’est bien la démarche de la transfiguration esthétique : dépasser le visible, le connu et le
commun. A ce propos, le poète exprime constamment son désir de dépasser l’existant et
l’évident pour découvrir du neuf, de l’autre. Il se désole par exemple du statu quo et de
l’immobilité qui régnent dans son existence misérable : « Perdu dans ce vilain monde,
coudoyé par les foules, je suis comme un homme lassé dont l’œil ne voit en arrière, dans
les années profondes, que désabusement et amertume, et devant lui qu’un orage où rien
de neuf n’est contenu, ni enseignement, ni douleur. »264
La démarche d’appréhension du monde qu’adopte Baudelaire se caractérise donc
par un traitement transformatif de ce qui est perçu. La transfiguration esthétique est en
effet le résultat d’une vision qui réorganise la matière des choses pour leur donner de
nouvelles caractéristiques et un sens esthétique inédit ; à travers cette perception
s’enthousiasme le poète, « [t]ous les matériaux dont la mémoire s’est encombrée, se
classent, se rangent, s’harmonisent et subissent cette idéalisation forcée [...], une
perception aiguë, magique à force d’ingénuité ! »265 La vision poétique permet donc de
mettre à jour, au-delà des apparences, le sens caché, la charge symbolique qui nous
entoure: c’est un «dictionnaire hiéroglyphique» du cosmos.266 Dans cette optique,
Baudelaire rend hommage à l’œuvre de Théophile Gautier qu’il considère comme une
263 Pichois, notices 844.
264 Fusées 667.
265 Le Peintre de la vie moderne 694.
266 Charles Baudelaire, « Puisque réalisme il y a », 1938, Œuvres complètes, ed. Claude Pichois, vol. 2
(Paris : Gallimard, 1975) 59.