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réussite poétique grâce à l’usage d’«une immense intelligence innée de la
correspondance et du symbolisme universels ».267
Le poème « Correspondances » est l’exemple baudelairien le plus connu de ce jeu
perceptif. Tout ce qui entoure l’homme peut devenir « une forêt de symboles » et il
arrive que, au terme de l’expérience transfigurante, une nouvelle communication se crée
de telle sorte que « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent ».268 Le poème
« Le Cygne » illustre de même l’usage baudelairien de cette perception pour appréhender
le monde. Ici, les changements urbains que subit la capitale à l’époque haussmannienne
déclenchent chez le poète des visions par correspondance puisque « [...] palais neufs,
échafaudages, blocs, / Vieux faubourgs, tout pour [lui] devient allégorie ».269 Cette
imagerie le renvoie à un temps passé regretté puis, par association, évoque ceux qui,
comme le poète, ont perdu leur terre natale tels que les exilés, les esclaves ou les marins.
La vision se termine par un hommage fraternel à ces hommes : « [le poète] pense aux
matelots oubliés dans une île, / Aux captifs, aux vaincus !... à bien d’autres encor ! »270
La conception de perception esthétique que défend Baudelaire se retrouve dans sa
définition même de création artistique : l’art doit chercher, selon lui, à dévoiler une
perception unique du monde, et ce en dépassant à la fois la vision commune des choses
ainsi que les normes littéraires et poétiques en vigueur. Ainsi nous dit Baudelaire, le but
de la poésie moderne est d’ouvrir à la nouveauté ; il conclut alors son compte-rendu du
267 Charles Baudelaire, Théophile Gautier [I], 1859, Œuvres complètes, ed. Claude Pichois, vol. 2 (Paris :
Gallimard, 1975) 117.
268 Charles Baudelaire, « Correspondances », Les Fleurs du mal 11, v.3 ; v.8.
269 Charles Baudelaire, « Le Cygne », Les Fleurs du mal 86, v. 30-31.
270 v. 51-52.