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Prévert et Césaire. Dans son Manifeste du surréalisme, André Breton définit en effet la
démarche surréaliste comme une opposition à la tendance de pensée actuelle où « le désir
d’analyse l’emporte sur les sentiments » et où règne une « intraitable manie qui consiste à
ramener l’inconnu au connu, au classable ».258 Le surréalisme base en effet ses
techniques de création sur l’usage sans limites de l’imagination et de l’irrationnel ; le
travail surréaliste est donc, d’après Breton, une activité conduite «en l’absence de tout
contrôle exercé par la raison ».259 Je mettrai en lumière cette caractéristique au sein du
discours et de l’œuvre des trois poètes dans la première partie de ce chapitre.
En somme, et à l’opposé d’une connaissance savante et concrète, la démarche
d’appréhension du monde privilégiée par les trois poètes se fait, bien que de diverses
façons, par un certain usage de l’imagination et de l’irrationnel. La tâche n’est pas ici de
comprendre avec la raison mais d’appréhender avec les sens. Utilisant une expression
empruntée à Paul Eluard, Bataille souligne en effet cette caractéristique de la perception
poétique moderne, déclarant que « c’est la meilleure — la plus simple — définition de la
poésie : qui donne à voir. »260 René Ménil remarque lui aussi que l’accès à une vision et
une connaissance poétiques ne peut se faire qu’en s’extirpant du mode de pensée
dominant, qui privilégie un savoir érudit et une logique rationnelle, pour s’abandonner au
royaume de l’imagination, de la folie, et de l’irrationnel :
Comme l’indiquent les traditions de la magie, seul l’homme armé des
forces du cœur est admis, comme par une grâce supérieure, à contempler
les révélations du monde interdit. Les merveilles n’apparaissent qu’au
258 André Breton, Manifestes du surréalisme, 1930 (Paris : Sagittaire, 1946) 315.
259 Manifestes du surréalisme 328.
260 « De l’âge de pierre à Jacques Prévert » 195.